Brexit : L’ENJEU DES CHAMBRES DE COMPENSATION, par François Leclerc

Billet invité.

La négociation du Brexit est officiellement engagée, destinée à durer deux ans, à moins que des prolongations ne soient comme il est vraisemblable accordées afin de repousser le moment fatidique d’un divorce qui en tout état de cause ne sera pas une franche séparation. Pour meubler, les commentateurs opposent les partisans du Brexit dur ou doux, cette énième resucée des faucons et des colombes qui a déjà tant servi.

Dans la confusion régnante – les pourparlers étant menés côté britannique par un Premier ministre qui était opposé au Brexit, pour tout éclaircir ! – il y en a qui ne perdent pas le Nord sur un sujet aux énormes implications financières : quel va être le sort réservé aux chambres de compensation des produits dérivés, les CCP ? La City prétend garder sous sa juridiction et celle de la Couronne ce fleuron de la haute finance dont le réseau monte en puissance au fur et à mesure que la réglementation entre en vigueur.

Mais les plus hautes autorités européennes ne peuvent pas accepter que des structures d’une telle importance critique ne soient pas contrôlées par l’Autorité européenne des marchés financiers (Esma) et la BCE. Sont en question la validation des modèles de risque des CCP, en fonction desquels elles procèdent à leurs appels de marge auprès des investisseurs qui en sont membres, ainsi que la possibilité d’émettre des avis contraignants sur le risque de liquidité ou les exigences de collatéral sécurisant les transactions.

Pour donner sa dimension au problème, il n’est pas inutile de mentionner que SwapClear, la plate-forme de LCH.Clearnet, ne traite pas moins de 97 % des dérivés de taux longs en euros et a en compensation un encours notionnel de 303.925 milliards de dollars, dont 84.310 milliards libellés en euros au 22 juin. Garantir la stabilité financière d’un tel acteur en cas de malheur semble pouvoir être reconnu comme une prétention légitime ! C’est tout l’enjeu des tractations qui se sont engagées.

Qui aura la main sur la régulation, la supervision et la résolution des CCP ? La BCE ne souscrit pas au scénario selon lequel elle devrait demain honorer ses accords de swaps euro/livre avec la Banque d’Angleterre, sachant par avance ne pouvoir le refuser au risque d’être accusée de provoquer une crise, si cette dernière devait soutenir une CCP en déconfiture en lui donnant accès à la liquidité. Mais y satisfaire reviendrait pour l’institution de Francfort à favoriser l’aléa moral en finançant des risques sur lesquels elle n’a pas prise. La cause est donc pour elle entendue.

Afin d’éviter une délocalisation des CCP sur le territoire de l’Union monétaire et d’en conserver le contrôle, la City donne pour exemple ses rapports avec les régulateurs américains, selon un dispositif qu’elle souhaite reproduire avec les régulateurs européens. Dès lors que des contreparties américaines utilisent une CCP pour compenser des contrats en dollars, ces régulateurs ont en effet leur mot à dire. Mais tout est question de rapport de force, leur poids étant sans commune mesure avec celui qu’auraient des autorités européennes placées dans la même situation. En raison d’une réglementation moins contraignante qu’aux États-Unis, les investisseurs américains privilégient la place de Londres pour leurs opérations sur le marché des dérivés, mais ils seraient susceptibles de rapatrier la compensation de leurs transactions dans des CCP américaines si leur régulateur toussait. Vu leur poids, la perspective est hautement dissuasive.

Du côté des investisseurs, les clearing members, la tournure des discussions est suivie avec attention, la crainte étant qu’une délocalisation assortie d’une approche réglementaire renforcée n’aboutisse à des surcoûts pesant sur leurs transactions. Afin de préserver leurs marges, la contrepartie est toute trouvée : ils vont demander une approche plus flexible sur l’optimisation du collatéral, cette dangereuse cuisine.

Comment les autorités européennes se positionnent-elles dans tout cela ? La Commission a proposé de revoir la réglementation Emir afin de traiter du cas des CCP localisées hors de l’Union européenne. Trois cas de figure sont distingués dans sa proposition, suivant qu’il s’agit de « petites CCP », « d’acteurs systémiques », ou de CCP « substantiellement systémiques ». Les premières bénéficieraient du régime d’équivalence déjà appliqué sous la réglementation Emir, une supervision du contrôle renforcée serait réservée aux secondes, et les dernières devraient être relocalisées sur le territoire de l’Union européenne. On devine que le diable rode autour des détails, ce qui permet aujourd’hui à chacune des parties de se déclarer satisfaite en interprétant en sa faveur cette classification tant qu’elle n’aura pas été clarifiée.

Quelle leçon ! Les principales capitales européennes rivalisent pour accorder un environnement avantageux aux intervenants financiers, afin de les attirer. La Commission et la BCE sont à la manœuvre pour récupérer le risque des transactions sur les produits dérivés en accueillant les structures qui le concentrent. Toute défiance à l’égard du système financier a disparu et il n’est question que de ses contributions à l’économie, comme si de rien n’était. Alors que ce qui est en cause, c’est d’offrir au système financier dans ce qu’il a de plus dangereux et instable les meilleures conditions pour son déménagement. La taxe sur les transactions financières va passer à la trappe, tout un symbole !

Le ministre français de l’économie Bruno Le Maire a offert à Wall Street le spectacle d’un voyageur de commerce, pendant de l’invitation de Donald Trump au défilé du 14 juillet qui en est le prolongement. Les promesses engageantes aux banques américaines n’ont pas manqué, en référence à la convergence fiscale, qui va permettre de donner un coup de rabot sur la taxation des entreprises, ou bien à l’allégement du coût du travail et des retraites, ainsi qu’à la simplification du mille-feuilles administratif. Tout un programme de gouvernement.