Billet invité.
À l’occasion d’une conférence de presse commune, Angela Merkel et Emmanuel Macron ont rivalisé d’emphase pour qualifier leur volonté commune d’avancer, tout en écartant ce qui pourrait les diviser. Ils n’ont pas d’autre option s’ils veulent porter un coup d’arrêt au démantèlement de l’Union européenne qui a atteint un degré alarmant. « C’est plus qu’un symbole, c’est une véritable éthique de travail », n’a pas craint de déclarer le président français. « Il ne s’agit pas de publier des communiqués, mais d’obtenir des résultats » s’est crue obligée d’ajouter la chancelière. « Quand nous aurons quelque chose de robuste, nous le rendrons public, plutôt que de fixer des objectifs qui sont des comptes à rebours que vous allez en quelque sorte guetter pour voir si on est au rendez-vous ou pas » a surenchéri le premier. La volonté d’obtenir des résultats est proclamée mais la prudence est de rigueur.
Tout occupé à mettre en musique le renouveau d’une coopération franco-allemande dont il cherche à repousser les limites, Emmanuel Macron considère malvenu « d’étaler les divergences au grand jour » et le dit ouvertement. Dans l’immédiat Angela Merkel joue le jeu en n’omettant pas de signaler que « nous ne sommes pas automatiquement du même avis », précisant cependant que « pour moi, façonner l’avenir à 27 membres est prioritaire par rapport à la question des négociations avec la Grande-Bretagne sur sa sortie. » Le décor est planté mais la pièce n’est pas jouée.
Le choix a été fait d’une stratégie défensive. Tout ce qui peut concourir à renforcer le sentiment des européens qu’ils sont bien protégés est visé en priorité, la crise politique ayant pris le dessus et imposant de faire barrage aux « populismes » ainsi qu’au rejet de l’Union. Le renforcement de la défense européenne, dont le terrain était bien préparé, a pu déjà être annoncé, accompagné de la création d’un fonds destiné à le financer. Mais ce n’est pas à cette protection là que les Européens aspirent en premier lieu.
Tout cela ne va pas sans intérêts contradictoires, avec les gouvernements des pays de l’Est, mais aussi avec l’Allemagne. Le projet français de contrôle des investissements chinois dans des secteurs stratégiques en a fait les frais, repoussé au profit d’une « étude » qui risque de s’éterniser car il déroge au libre-échange et s’apparente à un protectionnisme dont les dirigeants allemands ne veulent pas, craignant en retour pour leurs exportations. Les mesures contre le « dumping social » du détachement des travailleurs au sein de l’Union ne pourront être adoptées qu’à l’automne si c’est le cas, une première mouture trop peu contraignante ayant été refusée.
Angela Merkel a prôné « que l’on fasse tout au niveau européen afin que ces changements soient aussi ressentis par les gens », ajoutant à la politique de défense et au combat contre le terrorisme la question de l’emploi. Mais il va falloir attendre la publication, à une date non précisée, de la « feuille de route énumérant les changements indispensables de l’Union européenne et de la zone euro », dixit Emmanuel Macron, pour en savoir plus sur le détail et le calendrier des mesures retenues, dont celles qui porteront sur le délicat sujet de la relance économique.
Même le peu qui peut être attendu avec réalisme sur ce dernier sujet va être commandé par le résultat des élections allemandes du 24 septembre prochain. La perspective d’une reconduction de la grande coalition s’éloigne, la percée dans les sondages de Martin Schulz qui a suivi son accession à la direction du SPD ayant été un feu de paille. Si cela se confirme, Angela Merkel pourrait privilégier une coalition avec le FDP – le parti libéral-démocrate allemand – qui a beaucoup changé depuis que Helmut Kohl en avait fait son partenaire il y a seize ans. Ce petit parti qui remonte dans les sondages n’est plus ce qu’il était, très engagé à l’époque en faveur de l’Europe.
Christian Lindner, son dirigeant, est clairement opposé aux propositions de budget et de ministre européen des finances d’Emmanuel Macron. Mettant les points sur les « i », il est en faveur d’une sortie de la Grèce de la zone euro – pas de l’Union – car sa dette n’est pas soutenable, et c’est à cette condition qu’elle pourra faire défaut. Dans l’hypothèse d’une coalition avec la CDU/CSU, à laquelle les Verts pourraient participer, Christian Lindner pourrait être le ministre des affaires étrangères s’il ne parvient pas à déloger Wolfgang Schäuble de son poste. Dans les deux cas, il pèsera.
S’en tenant pour l’instant aux déclarations d’intention, les plus hautes autorités européennes n’ont pas fini d’ajuster leur tir, mais elles ne pourront pas continuer longtemps sur ce même mode.