Billet invité.
Angela Merkel n’a pas attendu que soit passé le cap des élections de l’automne prochain pour lesquelles elle est la grande favorite. Devant un auditoire réceptif d’industriels allemands, elle a voulu marquer le coup et saisir la perche tendue par Emmanuel Macron, qui ne peut pas trop attendre.
Partant du constat que « la cohésion européenne entre les États de la zone euro laisse à désirer », un délicat euphémisme, la chancelière a compris que le surplace n’était pas tenable et qu’elle devait prendre l’initiative de faire bouger les lignes pour mieux contrôler la situation. Les pistes d’un gouvernement économique, d’un ministre des finances commun et d’un budget de la zone euro finançant des projets de structure ont ainsi été déclarées ouvertes à la discussion. Mais à la stricte condition que « les conditions de base » soient remplies, c’est à dire que la réduction des déficits se poursuive sans faillir, tout en continuant à proscrire la mutualisation de la dette européenne. Cela tombe bien, ces deux contraintes ont été par avance acceptées par Emmanuel Macron.
L’affaire est destinée à accréditer l’idée qu’un tournant est pris, sans attendre que la mise en musique de ces intentions leur donne leur véritable dimension. Dans l’immédiat, le groupe de travail bilatéral franco-allemand qui doit présenter ses premiers travaux en juillet lors d’un conseil des ministres européen a du grain à moudre. Mais la chancelière ne déroge pas au pêché mignon de la construction européenne qui n’en voit les étapes que sous l’angle institutionnel. Faire bouger les lignes est une question de gros sous, une autre contrainte bien plus déterminante qui n’est pas levée et devant laquelle Donald Trump bute lui aussi.
On ne peut s’empêcher de penser que la chancelière et son ministre des finances se sont répartis les rôles, ce dernier conservant celui de gardien du Temple dans lequel il se complait tellement. Le soulagement créé par la déconfiture du Front National et la victoire à confirmer du nouveau président français n’est pas étranger à cette nouveauté. La crainte que la situation puisse déraper en Italie et en Espagne, où les gouvernements en place sont face à des décisions budgétaires impopulaires, entre également dans le calcul. Mais rien ne fera rentrer des ronds dans des carrés : la dette italienne qui atteint 135% du PIB ne sera pas soutenable tant qu’un taux de croissance de 3% minimum ne sera pas atteint, et cela n’en prend pas le chemin. À tous égards, l’Italie est à la dérive.
L’incapacité dans laquelle les autorités européennes se trouvent de régler la question des réfugiés est tout aussi symptomatique de la situation que la prudente opération que vient de lancer Angela Merkel. Son véritable objectif n’est pas de sortir l’Europe de la langueur économique ainsi que de la crise sociale et politique – cette dernière rejaillira à la première occasion – mais de s’installer au mieux et pour durer dans ce contexte qui ne va pas considérablement changer.