Billet invité.
Après la BCE qui s’intéresse à la qualité de l’emploi, c’est au tour de l’OCDE de constater, allant plus loin, que « l’inégalité des revenus est inédite en ce moment et met en danger la cohésion sociale ». L’organisation déplore « l’incapacité des politiques publiques existantes à promouvoir une croissance inclusive » (qui bénéficie à tous), car une politique de l’emploi ne doit pas se focaliser uniquement sur les taux de chômage et d’emploi, mais aussi sur la qualité de ces emplois.
L’Espagne en fournit actuellement un parfait exemple, où l’activité touristique saisonnière en plein essor crée de nombreux emplois de mauvaise qualité. Dans ce domaine, le marché du travail allemand fait référence, illustrant clairement les effets de la réforme de sa réglementation et la diminution du coût du travail qui en a résulté. A la faiblesse du taux de chômage correspond la progression du phénomène des travailleurs pauvres qui atteint les classes moyennes.
Les préoccupations en faveur de la stabilité politique jouent un grand rôle dans cette nouvelle prise de conscience. Mais elles ne sont pas les seules. Aux États-Unis, la Fed constate que le seuil du plein emploi est formellement atteint, mais que la remontée des prix n’est pas en conséquence. Le profil habituel de la courbe de Phillips n’est pas respecté, la théorie n’est pas vérifiée ; un monde s’écroule, car l’inflation ne progresse pas comme elle devrait !
Encore un phénomène qui dérange les convenances académiques. On se souviendra à ce propos de l’autocritique du FMI à propos du multiplicateur fiscal, ce coefficient qui permet de relier la consolidation fiscale et la croissance induite, et qui s’est révélé tel qu’il avait été choisi pour la Grèce totalement erroné.
Depuis qu’elle a été mise en évidence dans les années 60 par le chercheur néo-zélandais Alban William Phillips, la courbe qui porte son nom faisait autorité, même si son interprétation – keynésienne ou monétariste – était un des grands classiques des débats mandarinaux qui se sont déchaînés à son propos. Cette courbe met en relation le taux de chômage et la variation des salaires nominaux – à la source de l’inflation – et caractérise une relation inverse entre celle-ci et le chômage. Mais les données empiriques ne permettent pas au fil des temps et suivant les régions du monde de toujours de tracer une belle courbe. Aujourd’hui, une triste vérité s’impose : on ne peut plus faire confiance à Alban William Phillips.
On peut par contre le faire à Luis de Guindos, le ministre de l’économie espagnol, qui avec de toutes autres préoccupations mène une campagne d’enfer pour prendre la succession à la tête de l’Eurogroupe de Jeroen Dijsselbloem. « Nous avons une fenêtre d’opportunité de pas plus de six mois après les élections allemandes » et « nous ne pouvons pas nous permettre un second Brexit » vient-il de déclarer, tout à son affaire. Le ministre appuie résolument la création sur la base de l’actuel Mécanisme européen de stabilité (MES) d’un Fonds monétaire européen, ou Trésor européen, « doté d’un budget propre et contrôlant un certain pourcentage des budgets nationaux ». Avec pour objectif de disposer d’un système forçant les pays à analyser leur déficit de compétitivité ».
Le ministre renvoie à plus tard, cette mission accomplie, la fort malvenue question des euro-obligations, « sur lesquelles nous avons trop mis l’accent et qui sont une question mineure ». La conclusion s’impose : « le plus important réside dans une politique économique d’intégration, pas uniquement fiscale mais portant également sur les réformes structurelles ».
On reste confondu devant un tel niveau de clairvoyance politique.