Billet invité.
Faire bouger les lignes de la politique européenne est une préoccupation ces temps-ci fort partagée, qu’elle soit fondée sur la conviction que la crise européenne est dépassée et la stabilisation acquise, ou au contraire qu’elle appelle à la mise en place de contre-feux. Des mesures s’imposent dans les deux cas, mais lesquelles ? Le concours des idées continue…
Le contexte appelle toutefois à la prudence, tout ne rentrant pas dans l’ordre comme certains en sont persuadés ou font semblant. Les chiffres de l’inflation donnent du fil à retordre à ceux qui préconisent que la BCE enclenche la marche arrière en poursuivant la réduction de son programme d’achat de titres et en entamant la hausse de ses taux. Déjà donné dans les couloirs comme successeur de Mario Draghi à la tête de la BCE en 2019, Jens Weidmann fait significativement acte de prudence, déjà à la manœuvre en reconnaissant qu’il est « possible de défendre » une politique accommodante à laquelle il est notoirement opposé.
La Commission a hier rendu publiques ses réflexions sur l’approfondissement de l’union monétaire et économique, qui avaient auparavant beaucoup fuité. Accumulant les mesures défensives, elle s’entoure d’une identique prudence en qualifiant de simples « voies possibles » les éléments d’une reconfiguration de la gouvernance de la zone euro, ne prétendant certes pas changer la face du monde. Adoptant comme point de départ à sa réflexion que la convergence économique n’est pas intervenue, ou pire s’est éloignée, et comme point d’arrivée un catalogue d’options au choix, qui pourraient être mises en place selon les étapes successives d’un calendrier couvrant jusqu’à 2025.
On peut en retenir que la Commission est pleine de bonnes intentions, proposant de parachever l’union financière dès 2019, avec comme mesures phares à cette échéance rien de moins que de conclure l’union bancaire, de mettre en place un réseau intégré de supervision des banques et des compagnies d’assurance, de couper le cordon explosif entre les banques et les gouvernements que représente la détention par les premières des titres de la dette des seconds, et de créer un marché d’obligations adossées à ceux-ci, des succédanés d’euro-obligations. À tout le moins, cela vaut reconnaissance des dangers que représente toujours le système financier, à défaut de décrire les mesures permettant de les tuer dans l’œuf.
La création d’un budget européen de plein exercice, que le gouvernement allemand vient hier encore de rejeter sans équivoque, est repoussée à après 2025, au profit, et par mesure de précaution, de la mise en place de différents fonds à l’accès conditionné au respect de la politique de restriction budgétaire. En parallèle, la reconfiguration du MES en FMI européen est également envisagée, mais sans se substituer à la Commission dans ses missions de contrôle, de coordination et de stabilisation économique qui seraient renforcées. Aucun délai n’est toutefois donné pour des mesures plus audacieuses pouvant impliquer un changement de traité, en particulier celles touchant à la démocratisation des responsabilités européennes via des réformes institutionnelles.
Avant que le débat puisse officiellement s’engager, Jean-Claude Juncker s’est rendu à Berlin pour rencontrer Wolfgang Schäuble. Signe des temps, cette réunion qualifiée de « privée » aura selon toute vraisemblance permis de lui faire savoir les bornes à ne pas franchir.
Les économistes Agnès Bénassy-Quéré et Francesco Giavazzi ont dirigé la publication électronique d’un livre au titre enchanteur : « Le printemps politique de l’Europe : comment réparer la zone euro et voir plus loin ». Appelant de leurs vœux une Europe plus résistante, connaissant une plus forte croissance et dotée de moyens de se protéger, un ensemble d’économistes ont apporté leurs contributions convergentes, non sans dissonances lorsqu’ils abordent le tortueux chapitre de l’union fiscale. Mettant notamment en évidence que le MES n’a pas les capacités financières du rôle que l’on voudrait lui voir attribuer et proposant un plafond de détention des titres souverains pour les banques, pour les raisons que l’on connait bien désormais.
Mais leur approche, toute commune qu’elle soit, bute sur l’intransigeance du gouvernement allemand et la rend vaine. Et ce n’est pas l’entrée probable cet automne de l’AFD et du FDP au Parlement allemand qui vont élargir le champ du possible ! Un déblocage ne pourrait s’imposer que si un rebondissement de la crise européenne mettant en cause les intérêts fondamentaux de l’Allemagne intervenait. Or l’hypothèse la plus probable, à un horizon rapproché, est la poursuite d’une crise chronique contenue par la BCE. Raison pour laquelle Mario Draghi tient bon. Toutes les constructions qui sortent du rang et que l’on voit fleurir sont condamnées à rester des Kriegspiegel.
La crise politique a créé un appel d’air, mais il est trompeur.