LE PIÈGE DE LA COHÉSION FRANCO-ALLEMANDE, par François Leclerc

Billet invité.

Wolfgang Schäuble renforce son verrouillage politique. Il prend date dès à présent, confiant dans le résultat des élections en raison de la déconfiture du SPD annoncé par les sondages. Il marque son territoire et répond indirectement aux tentatives d’ouverture d’Emmanuel Macron, confirmant que, les projecteurs de Berlin éteints, la rencontre du président français avec Angela Merkel était du cinéma. À le suivre, tout reste à faire, et rien n’indique qu’il sera désavoué.

Le Frankfurter Allgemeine Zeitung et Der Spiegel se font l’écho de la volonté du ministre des finances – auquel la chancelière est associée – d’obtenir que le successeur de Mario Draghi à la tête de la BCE, en octobre 2019, soit un Allemand. Pour faire bonne mesure, il estime que le poste de vice-président, qui sera libéré par le Portugais Vítor Constâncio en mai 2018, devra également revenir à l’un de ses concitoyens et se donne ainsi des marges de négociation.

Toujours selon la presse allemande, Wolfgang Schäuble a également dans sa ligne de mire, afin de parfaire son dispositif, le remplacement de Jeroen Dijsselbloem à la présidence de l’Eurogroupe, au plus tard en janvier 2018. Connu pour ne pas faire dans le détail et pour son opposition déterminée à la politique de Mario Draghi, il veut dans l’immédiat favoriser la campagne montante en faveur du tapering de la BCE, l’arrêt progressif de ses mesures non conventionnelles. À l’instar de son homologue américain la Fed – qui continue de faire toutefois preuve d’une grande prudence – la banque centrale européenne devrait selon lui entamer sans attendre une remontée des taux, que les banques européennes réclament à cor et à cri en raison de la baisse de leur rendement.

Ceux qui préconisent cette normalisation ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Celle-ci mettrait en cause le soutien aux banques européennes les plus fragilisées et accentuerait la fragmentation européenne. Elle déstabiliserait l’Italie qui n’en a pas besoin, dont la BCE maintient le système bancaire en détresse le nez hors de l’eau.

Wolfgang Schäuble jouerait-il la politique du pire afin d’avoir gain de cause ? Une hausse des taux obligataires conforterait ses diktats en imposant à tous un effort budgétaire accru pour respecter les objectifs de réduction du déficit. Avec le refus de toute restructuration de la dette, notamment pour les mêmes raisons, c’est le second pilier de son credo. Aux commandes du Mécanisme européen de solidarité (MES) par l’entremise de son directeur Klaus Regling, qui vient d’être reconduit, il sera en position d’imposer leur respect sans faille, ainsi que des conditions drastiques en contrepartie d’éventuelles aides financières.

De fait, Emmanuel Macron s’inscrit pleinement dans le cadre de sa politique en refusant « la mutualisation des dettes du passé », en réduisant la protection sociale et en souscrivant à l’idée que le coût du travail est le principal obstacle à un redémarrage de la croissance qui résultera selon lui de l’investissement, ainsi qu’à la nécessité de la consolidation budgétaire. Quitte à améliorer à la marge le traitement des laissés pour compte, mais sans combattre l’accroissement des inégalités. Avec un déficit extérieur significatif, aucun point d’appui solide pour les exportations ne pouvant être trouvé en substitution en Europe, le redressement de l’économie et le recul du chômage ne peuvent provenir que d’une relance de la demande intérieure.

Bardé de diplômes, le président français a la vision pénétrante : il assimile l’économie à un bouchon qui remontera à la surface une fois libéré de ce qui le retient au fond. Après le « choc de l’offre », va venir celui des grandes « réformes structurelles ». Sans aucune garantie que la cohésion franco-allemande retrouvée puisse freiner le démantèlement de l’Europe. La construction d’un « parapluie » de défense militaire destiné à remplacer celui des États-Unis illustrera cette coopération. Côté allemand, cela n’ira pas beaucoup plus loin : pour la chancelière, l’excédent budgétaire allemand tant décrié résulte de l’excellence de sa production industrielle et de la faiblesse de l’euro, qui est de la responsabilité de la BCE. Dans ce domaine aussi, elle ne bougera que pour satisfaire le scénario de Berlin.