Billet invité.
Les excédents commerciaux records que l’Allemagne dégage mois après mois ne sont pas seulement le fruit de ses réformes du travail et de sa politique économique. Ils contribuent également à un dysfonctionnement majeur de la zone euro, la déséquilibrant et rendant le sort du pays indissociable de ce qui va advenir de cette dernière. L’Allemagne a beaucoup à perdre de son éclatement, raison pour laquelle son gouvernement s’acharne à vouloir faire le bonheur de ses partenaires malgré eux !
On sait que les pays ayant adopté la monnaie unique ne disposent plus que la déflation intérieure reposant sur l’austérité budgétaire comme variable d’ajustement. Ils en sont les victimes expiatoires. Mais cette politique qui leur est imposée ne suffit pas à combattre les forces centrifuges qui se manifestent, selon un phénomène qualifié de fragmentation qui détruit la cohérence de la zone euro et oppose deux camps plus ou moins déclarés. Des critères de convergence ont dû être au moins formellement remplis pour adhérer à la zone euro, mais les divergences l’emportent nettement désormais, et la solidarité financière pouvant les combattre fait défaut.
En résistant aux injonctions et refusant de sortir de son programme d’assouplissement quantitatif, la BCE endigue autant qu’elle le peut cette fragmentation déjà bien avancée, qui sans cela conduirait au démantèlement de la zone monétaire. Y contribuant, l’Allemagne qui est exportatrice nette de capitaux à hauteur de près de 400 milliards d’euros en 2016, a cessé d’investir en Europe du Sud et s’en est retirée, pour choisir comme destinations privilégiées l’Autriche, le Luxembourg et les Pays-Bas, des valeurs sûres et pour les deux derniers des paradis fiscaux, lieux de transit vers des destinations exotiques et discrètes. Une véritable fuite des capitaux est simultanément enregistrée au départ de l’Italie, désormais reconnue comme grande malade de l’Europe, sans ressort avec son système bancaire sinistré et son système politique qui ne lui cède en rien.
Mais s’il est un indicateur déterminant pour les autorités allemandes, c’est le montant des créances accumulées au sein de Target 2, le système de payement et de compensation interne de l’Eurosystème qui regroupe les banques centrales nationales de la zone euro et la BCE. Il indique les flux de capitaux internes et témoigne clairement de la fragmentation financière de l’union monétaire. En août 2016, on enregistrait dans les livres de la Bundesbank un montant de 677,5 milliards d’euros de créances au sein de l’Eurosystème, et a contrario une position débitrice de 326,6 milliards d’euros dans ceux de la Banque d’Italie. Un tel déséquilibre, qui a certes été plus accentué, n’est pas en soi problématique, mais c’est à condition que l’Italie reste dans la zone euro. L’Allemagne aurait par contre beaucoup à perdre d’un éclatement qui rendrait ses créances irrécouvrables, notamment les italiennes.
La BCE minimise le problème en expliquant que le déséquilibre actuel est technique, mécaniquement dû aux effets de son programme d’achats de titres souverains. En réalité, il reflète aussi, si l’on prend encore le cas de l’Italie, une importante sortie des capitaux des résidents et non-résidents en raison des doutes qui planent sur son avenir. Il laisse également planer la menace d’une hausse des taux italiens lorsque la BCE continuera de diminuer ses achats de titres souverains et que les sorties de capitaux se poursuivront, faute d’amélioration de la situation italienne.
L’histoire a sa morale : en cas d’éclatement de la zone euro, faute d’avoir accepté la restructuration de la dette des pays débiteurs, ceux-ci feront défaut par un autre biais… L’Allemagne est piégée par la machine infernale qu’est devenue la zone euro, et il lui faut à tout prix éviter une telle issue. Ce qui d’ailleurs rend invraisemblable qu’elle puisse décider de reprendre sa liberté et la quitter d’elle-même, ce qui serait pourtant la meilleure des solutions.
Le refus obstiné de son gouvernement de procéder à une véritable restructuration de la dette grecque, qui créerait un précédent qu’il redoute, va le conduire au mieux à accepter, une fois le cap de ses élections passées, un simple réaménagement de celle-ci repoussant les échéances et condamnant la Grèce à l’austérité pour longtemps. Mais le Portugal aimerait bien s’inviter à la table de la négociation et l’Italie, pour avoir tardé à nettoyer le bilan de ses banques, n’aura pas d’autre issue, une fois épuisés tous les accommodements consentis par la Commission, que d’y chercher une place qui lui sera refusée.
Comme le préconise le président français pour y faire croire, il faudrait refonder l’Europe, mais qui en a les moyens ? Il faudrait pour cela apurer le passé.