Billet invité.
Combien de temps la Chine va t-elle pouvoir tenir le rythme actuel d’accroissement de son endettement ? L’année passée, la dette chinoise atteignait 264% du PIB, mais ce chiffre n’est pas le plus inquiétant. Car Moody’s estimait en octobre dernier que le secteur du shadow banking prenait progressivement le relais du secteur bancaire public et pesait 8.500 milliards de dollars, soit 80% du PIB.
Le Parti-État considère comme on sait l’endettement comme un moindre mal pour privilégier une croissance synonyme de paix sociale. A ce tarif, on continue d’observer une frénésie de crédit alimentant une gigantesque bulle immobilière qui ne pourra pas manquer d’éclater. Et en trois ans, le succès des produits de gestion d’actifs non régulés ne s’est pas démenti, représentant l’an dernier 3.800 milliards de dollars. Le FMI s’en inquiète : la stabilité financière chinoise est menacée et avec elle celle du système financier mondial.
Le nouveau régulateur des banques et la Banque centrale chinoise, la PBOC, multiplient les mesures réglementaires, et celui des assurances annonce qu’il va en faire autant, celles-ci ayant lourdement investi dans des produits financiers spéculatifs. Tout le système financier est atteint. A ceci près que si la PBOC étudie des dispositions pour entamer la régulation du shadow banking celui-ci, en pleine expansion, est de plus en plus difficilement contrôlable.
Il ne peut plus être opposé à cette situation que la menace peu crédible de ne pas renflouer des collectivités ou des entreprises surendettées, et de les laisser faire faillite. Car le pouvoir ne va pas au-delà du symbole isolé, ne pouvant se payer le luxe de faillites en série. Tout durcissement de la réglementation du secteur public s’avère de son côté contre-productif, poussant dans les bras du shadow banking.
Le modèle d’une croissance chinoise alimentée par l’endettement atteint ses limites sans pouvoir être dépassé. Et dans la perspective du Congrès du parti communiste à l’automne, le Parti-État est avant tout soucieux d’éviter toute déstabilisation sociale. Il faut donc tenir.
Les analystes ont le plus souvent une fausse bonne raison de minimiser le danger de la bulle de l’endettement. En Chine, ils fondent leurs vains espoirs dans la capacité illimitée du système financier étatique d’absorber les chocs. Au Japon, autre champion de l’endettement, ils s’illusionnent sur les capacités du pays à continuer de financer celle-ci sans avoir recours au marché mondial. Aux États-Unis, avec cette fois-ci plus de réalisme dans l’immédiat, ils considèrent qu’il y aura toujours des acheteurs pour la dette nationale, tout du moins tant que le dollar restera la principale monnaie de référence. Mais on n’y assiste pas moins à une fuite en avant qui aura nécessairement son terme.
Ces raisonnements sont complaisants et permettent d’esquiver la question clé du désendettement. Et la solution appliquée en Europe ne procure pas les résultats annoncés. Elle s’accompagne d’une détérioration accrue du partage de la richesse et du développement des inégalités. Reproduite, elle plongerait l’économie mondiale dans une durable récession, aux effets sociaux et politiques non maitrisables.
A la menace du déclenchement d’un nouvel épisode de la crise financière que représente la Chine, s’ajoute en toile de fond celle de la bulle de l’endettement, qui continue partout d’enfler. Mais il est préféré l’ignorer, car sa solution est porteuse d’inévitables et sérieuses remises en question. Le Japon en est déjà un exemple, où la dette est désormais largement monétisée par la Banque centrale (BoJ), accompagné par une déflation endémique. La mobilisation de l’épargne des ménages est mise en avant, masquant son rôle déterminant.
Le capitalisme n’a pas d’alternative à ce modèle de croissance reposant sur l’endettement sans avenir et qui craque. Les fruits de la croissance sont de moins en moins partagés et la société qui se dessine emprunte à Trump, Erdogan, Poutine ou à Orban, l’autocrate hongrois… Le Pen ne déparerait pas dans ce paysage.