Billet invité.
Donald Trump ne pouvait rêver mieux pour fêter les 100 jours de son arrivée au pouvoir. Trouvant un excellent prétexte pour galvaniser sa base, il va prononcer une allocution devant la conférence annuelle de la National Rifle Association (NRA), le tout-puissant lobby des armes à feu qui a généreusement financé sa campagne. Il faut remonter à Reagan, en 1983, pour retrouver le précédent d’un président en exercice sacrifiant au même exercice.
L’heure du premier bilan a sonné, et il est pour le moins mitigé. Donald Trump a fort mal commencé avec sa loi sur les migrants et sa tentative de réformer l’Obamacare. Pour se rattraper, il vient d’annoncer les grandes lignes d’une réforme fiscale d’ampleur, toute entière orientée vers la baisse des prélèvements, et qui tient de l’effet d’annonce tant que le Congrès ne l’aura pas adopté. Véritable fuite en avant, elle pourrait priver l’État fédéral de 6.200 milliards de dollars de recettes durant la prochaine décennie et accroître la dette publique américaine de 20.000 milliards de dollars d’ici 2036 selon le think tank américain Tax policy center.
En diminuant le taux d’imposition des bénéfices des entreprises, le président américain s’engage dans une politique de moins-disance fiscale qui va accélérer la course mondiale déjà engagée. L’ONG Oxfam a réagi vivement : « quand le pays le plus puissant au monde décide de diminuer autant ses recettes fiscales, cela va entraîner un certain nombre de pays et susciter des déséquilibres créant des impacts énormes sur nos sociétés ». De nombreux pays ont déjà décidé de revoir à la baisse leurs taux d’imposition pour renforcer leur attractivité, et cette logique va se poursuivre.
Faisant feu de tout bois, l’administration Trump tente également de susciter le rapatriement des 2.600 milliards de dollars de liquidités qui ont été préservées de toute imposition américaine en restant à l’extérieur du pays à l’abri de paradis fiscaux. Une fiscalité avantageuse dont le taux doit encore être déterminé va être proposée pour les capitaux qui rentreraient au pays, avec des résultats incertains.
L’objectif est de constituer une sorte de trésor de guerre donnant aux entreprises et aux particuliers – via une restructuration des tranches de l’impôt sur le revenu qui va entraîner une baisse de 15 % des impôts des plus riches et la suppression de nombreuses niches fiscales – les moyens financiers de stimuler la relance économique et l’emploi. Mais cela va se réaliser au détriment du budget de l’État, au prétexte que la réforme fiscale va « se financer d’elle-même », ce qui laisse profondément sceptique. De ce point de vue, Donald Trump n’innove pas, il renoue avec les années Reagan, avec le risque avéré d’accroître la gigantesque dette américaine, ce qui est considéré comme un moindre mal. L’adoption de sa réforme fiscale ne devrait cependant pas intervenir avant la fin de l’année, tant sa compensation par de nouvelles recettes budgétaires, ou la suppression de dépenses, va faire l’objet de tractations.
Poursuivant toujours le même objectif, Donald Trump a les mains plus libres pour élever des barrières à l’importation de productions concurrentielles. L’ALENA, l’accord de libre-échange avec le Canada et le Mexique, qui avait été qualifié de « désastre complet pour les États-Unis » durant la campagne électorale, ne va pas être dénoncé mais passé à la moulinette. Sans attendre, les importations de bois et de produits laitiers canadiens vont faire l’objet de mesures de restriction. Mais le président se heurte à son propre secteur de la construction immobilière, qui anticipe une augmentation du coût des maisons, ainsi qu’à ses agriculteurs qui sont d’importants exportateurs au Mexique et craignent dans cette logique des mesures de représailles. Les choses ne sont pas si simples dans un monde où les chaînes d’approvisionnement sont devenues mondiales.
Après avoir visé les importations d’acier chinois, le président vise celles d’aluminium. Instruction a été donnée au ministre du commerce d’étudier l’application de l’article 232 du code du commerce, sur lequel il pourrait s’appuyer pour décider d’une taxation des importations. Au sortir des rencontres de Washington et de l’assemblée générale de printemps du FMI, Mario Draghi a déclaré que le risque du protectionnisme « s’était peut-être un peu estompé » – ce qui est largement prendre ses désirs pour des réalités – tout en reconnaissant continuer à ne pas voir très clairement où se dirige l’administration Trump.
Sur un autre sujet très sensible, la dénonciation ou non des Accords de Paris visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre pour contenir le réchauffement climatique, les grandes entreprises américaines font pression en faveur du maintien. Scott Pruitt, le patron de l’Agence de protection de l’environnement (EPA) a bien récemment plaidé pour un retrait, estimant que l’accord avantageait surtout la Chine, le plus gros émetteur mondial de CO2 devant les États-Unis, mais le secrétaire à l’énergie Rick Perry a mangé son chapeau et a déclaré « je ne vais pas dire au président de quitter l’accord de Paris sur le climat (…). Je vais lui dire que nous devons le renégocier ».
Treize grands groupes internationaux – dont BP et Shell, DuPont, Google, Intel, Microsoft et Walmart – ont il est vrai fait valoir que cet accord les « aiderait à gérer les risques accrus liés au changement climatique et à être compétitifs sur le marché mondial grandissant des énergies propres », où ils ont déjà beaucoup investi. Donald Trump va-t-il être conduit là aussi à mettre de l’eau dans son vin, en contradiction avec son discours de campagne climato-sceptique ? Il a fait savoir qu’il annoncerait sa décision avant le prochain sommet du G7 en Italie, les 26 et 27 mai et pourrait annoncer vouloir la diminution des objectifs de réduction du CO2 des États-Unis, afin de ne pas contredire son soutien à l’industrie charbonnière.
Sur le plan militaire, l’épisode de la flottille américaine qui se dirigeait initialement vers l’Australie – et non pas à portée de la Corée du Nord comme annoncé – a tout d’une mauvaise mise en scène, mais il crée une forte tension avec la Chine, afin qu’elle agisse vis-à-vis du régime nord-coréen. Il reste à Donald Trump le bénéfice de la puissance militaire américaine comme faire-valoir, au risque d’aventures pouvant tourner mal.