Billet invité.
La crise politique a frappé une fois encore. À l’occasion des présidentielles françaises, les partis de gouvernement ont été sanctionnés au profit de candidats exprimant, chacun à sa manière, le rejet du monde et de la politique qu’il représente. Devant la menace que constitue la venue au pouvoir de l’extrême-droite, les votes tactiques ont prévalu, conduisant Emmanuel Macron en tête de la compétition, et donnant à Jean-Luc Mélenchon un score inégalé au détriment de Benoît Hamon, qui avait eu le mérite de s’ouvrir à de nouvelles idées mais qui a dû endosser la profonde déception créée par son parti au pouvoir.
Deux candidats vont s’affronter, mais aucun ne représente une ouverture. Deux discours vont être opposés ayant en commun d’éluder la perspective d’un changement de société. Marine Le Pen va pouvoir faire valoir son discours anti-système, débusquant dans son adversaire sa caricature. Sous couvert de nouveauté et de belles paroles, ce dernier va se contenter de relooker la politique poursuivie jusqu’à présent, tandis qu’elle-même va exprimer un repli xénophobe qui témoigne d’un grand désarroi chez ceux qui s’y reconnaissent.
La disparition des repères partidaires gauche-droite traditionnels a été l’occasion d’un profond mouvement de rejet de presque la moitié des suffrages exprimés, mais elle n’a pas été porteuse d’une alternative politique, y compris dans les propos de Jean-Luc Mélenchon, radicaux mais largement convenus. Les Français vivent la crise par le bout de leur lorgnette, et il ne leur a pas été donné l’occasion d’en saisir toute sa dimension pour y opposer une nouvelle voie à suivre. L’anti-capitalisme est une condition nécessaire mais elle n’est pas suffisante.
Si Emmanuel Macron l’emporte, comme c’est probable, il va lui falloir gouverner et les difficultés vont commencer. Le gouvernement allemand n’a donné jusqu’à maintenant aucun signe d’assouplissement de sa politique privilégiant le désendettement, et les marges de manœuvre sont réduites. Les réformes libérales, notamment celle de la réglementation du travail, ne seront pas porteuses du nouvel élan économique recherché, laissant au contraire libre cours à la polarisation sociale, la précarité et les inégalités.
La tenue de législatives dans la foulée des présidentielles avait été originellement conçue pour favoriser l’émergence automatique d’une majorité pour le président nouvellement élu, accentuant le fonctionnement monarchique de la République. L’enjeu va être de taille pour Emmanuel Macron, la droite classique pouvant espérer retrouver son assise à la faveur de ce troisième tour, à moins qu’elle ne continue à se déchirer, le parti socialiste étant lui au bord de l’éclatement. Le président élu pourra-t-il faire l’économie de tractations lui faisant perdre son indépendance affichée – ni gauche, ni à droite – afin de solidifier une majorité parlementaire ?
Le plus important est ailleurs. Si les présidentielles n’ont pas permis que s’exprime une nouvelle vision de la société, quel chemin celle-ci va-t-elle pouvoir emprunter ? La tenue d’une Constituante préconisée par Jean-Luc Mélenchon n’étant pas à l’ordre du jour, comment favoriser le développement de pratiques sociales convergentes minoritaires mais tenaces ? Comment approfondir une réflexion sortant du cadre capitaliste et conformiste pour en tracer un nouveau qui réponde aux besoins d’émancipation ?
Ce mouvement a son rythme et il est illusoire de vouloir le forcer. Il est sa propre avant-garde et trouve en lui-même ses ressources. Beaucoup d’idées novatrices suscitant autant de débats justifiés sont apparues en peu de temps : les biens communs, le revenu universel, la taxation des robots… Elles ont en commun le mérite d’anticiper l’évolution pressentie de notre société et de formuler des alternatives pour ne pas s’en tenir à son simple rejet.
Dépasser le stade de la propriété privée pour favoriser l’usage des biens communs en démonétisant ceux d’entre eux qui sont vitaux, dont l’information, n’est plus une construction théorique destinée à une lointaine et incertaine application. Les grands principes ordonnant le fonctionnement de la société de demain sont déjà inventoriés, mais cela ne donne il est vrai aucune garantie pour l’avenir, car les intérêts en place qu’ils contrarient sont puissants et déterminés. La nouveauté est que la mondialisation n’est plus seulement celle des capitaux et des marchandises mais également celle des idées, leur imprimant une nouvelle force. La crise du capitalisme est généralisée, suscitant à la même échelle le besoin fortement ressenti de sa succession, contribuant ainsi à un nouveau rapport de force. Une chose est certaine : une fois engagé, le débat ne peut plus être arrêté, destiné à monter en puissance. Sa traduction politique attendra.