Billet invité
L’Europe est devenue une véritable pétaudière, et ce n’est pas prêt de changer. Dans le fol espoir de contenir son démantèlement, ses dirigeants se réfugient dans une approche institutionnelle, leur pêché mignon, signe que pour le reste rien n’est possible, et surtout pas une mise à plat des traités, ce préalable à tout changement de politique.
Les élections vont se succéder, exprimant en chaque occasion la profondeur d’une crise politique généralisée. Sans apporter de réponse aux électeurs en plein désarroi et crise de confiance. Med 7, le sommet de Madrid des sept pays de l’Union européenne (1), qui se tient aujourd’hui, aurait pu être l’occasion de montrer le bout du nez, mais il n’en sera rien, la diplomatie secrète a ses exigences. À ce compte-là, la situation continuera de rester bloquée. Rien ne l’exprime mieux que le dernier épisode des négociations de l’Eurogroupe avec le gouvernement grec. Un accord politique a été annoncé à Malte, mais le sol se dérobe une fois de plus sous les pieds des négociateurs, le moment venu de le finaliser. Faire plier le gouvernement grec est une chose, se résoudre à entamer la discussion à propos de la dette en est une autre. Et dans le rôle du Grand Méchant Loup, Wolfgang Schäuble est parfait.
Si le surnom n’avait pas été déjà accordé sous la version Gospodine Niet(2), celui de Herr Nein lui irait comme un gant. C’est tout du moins ce qui ressort d’un article du quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung qui dresse la longue liste de toutes les propositions auxquelles il oppose son veto, au prétexte qu’elles impliqueraient une révision des traités, politiquement impossible selon lui. Un point de vue qui n’est pas toujours partagé par les constitutionnalistes allemands.
Est notamment rejetée l’idée de Valdis Dombrovskis d’un budget de la zone euro, émis au nom de la Commission, dont l’objectif serait de financer un programme d’investissement et un fonds d’indemnisation des chômeurs. La création de titres européens de la dette échangés avec des titres souverains nationaux détenus par les banques du même pays ne trouve pas davantage grâce à ses yeux. Il permettrait de renforcer les banques, mais il recèlerait un danger de mutualisation de la dette par la porte de derrière. Il en est de même de la création d’une bad bank européenne. Faisant la pluie et le beau temps, l’inamovible ministre des finances allemand agit comme s’il était investi d’une mission. Il propose la création d’un FMI européen bâti sur la base d’une coopération intergouvernementale, privilégiant en toute chose cette formule à l’élargissement des missions de la Commission ou du Parlement européen. Refusant, pour la même raison, que le Président de l’Eurogroupe soit désigné hors du cercle des ministres des finances des pays de la zone euro, pouvant en faire un inacceptable ministre européen des finances.
Dans ces conditions, qu’est-ce qui pourrait bien faire fléchir l’inflexible Herr Nein ? Seule la menace de la sortie d’un important membre de la zone euro semble pour certains en mesure d’y parvenir, mais lequel osera ? L’ordolibéralisme paraît à ce compte-là avoir de beaux jours devant lui, à ceci près que la politique de désendettement à marche forcée que ses partisans préconisent ne produit pas les effets escomptés.
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(1) Espagne, France, Italie, Portugal, Malte, Chypre et Grèce.
(2) du ministre soviétique des Affaires étrangères, Andreï Gromyko, le ministre soviétique des Affaires étrangères a le premier été affublé de ce surnom. Le chef actuel de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a eu l’honneur de reprendre le flambeau.