Billet invité.
En Chine, « la transition continuera d’être complexe, difficile, et potentiellement chaotique », avait martelé le FMI dans son rapport annuel de l’été dernier, et ce jugement est plus que jamais valable. On trouve à l’origine les tentatives du gouvernement d’amortir le choc de la crise lorsqu’elle s’est déclenchée, et de financer l’arrêt du secteur zombie des grandes entreprises d’État.
Produisant des surcapacités de charbon, de ciment et d’acier, ces entreprises maintenues artificiellement en vie ne trouvent plus preneur pour leur production en raison du changement de modèle de développement en cours et d’une concurrence internationale exacerbée. Elles devraient être fermées, mais cela déclencherait une crise sociale redoutée. Simultanément, il a fallu financer des activités nouvelles, moteur du changement de modèle qui repose dorénavant sur le développement du marché intérieur et non plus sur les exportations.
Une gigantesque bulle du crédit en a résulté. Les municipalités, gouvernements provinciaux et entreprises publiques seraient endettés à hauteur de 230% du PIB, une estimation qui pourrait sous-estimer l’ampleur du problème étant donné le rôle grandissant joué par le secteur non régulé et en plein essor du shadow banking. Or, pour éviter qu’elle ne finisse par éclater, la banque centrale chinoise (PBoC), ne pourra pas éternellement pomper des liquidités dans le système financier.
Que faire ? Les modestes tentatives de titrisation engagées ne pourront offrir qu’un faible répit étant donné le volume des prêts non performants (NPL). Avec le vif ralentissement de l’activité économique, les créances douteuses représentent désormais 5,5% du total des prêts, mais elles sont susceptibles de grimper à 15,5%, auquel cas les pertes potentielles pourraient équivaloir à « environ 7% » du PIB, avertit le FMI. Quel sens a l’échange de la dette des entreprises contre une participation à son capital – une méthode classique – lorsqu’elles n’ont aucune perspective de rentabilité ? Enfin, les banques chinoises, contrôlées par l’État pour l’essentiel, ont déjà effacé au cours des trois dernières années pour plus de 300 milliards de dollars de créances douteuses, a indiqué en juin dernier un haut responsable de l’autorité chinoise de régulation du secteur bancaire, et elles ne peuvent pas renouveler un tel geste fréquemment… Pour le financer, elles ont profité des baisses de taux d’intérêt pour investir sur les marchés et développer des relations lucratives avec le « shadow banking », sous forme de crédits non régulés, mais il y a là aussi des limites.
Le gouvernement central n’a cessé depuis deux ans de multiplier les assouplissements monétaires qu’il a engagés en 2014, puis a procédé par accroissements de dépenses publiques, afin de stimuler l’activité au prix de nouvelles embardées de l’endettement privé. Mais les abondantes liquidités débloquées, un phénomène nous rappelant quelque chose, n’ont pas alimenté « l’économie réelle » mais favorisé un net rebond des transactions immobilières et de la spéculation. Et le gouvernement ne pourra pas renoncer brutalement à sa politique monétaire ultra-accommodante, ce que l’on observe déjà en Occident. Au contraire, il pourrait procéder à de nouvelles diminutions des ratios de réserves obligatoires des banques.
En fin de compte, les dirigeants chinois ont beaucoup péché en gonflant démesurément la dette pour stimuler la croissance. Le parallèle avec ce que nous connaissons en Occident s’impose à nouveau… Et cela ne s’arrête pas là. Un nouveau patron a été nommé à la tête du régulateur chinois, pour essayer de mieux maitriser ce qui est devenu incontrôlable. Guo Shuqing veut s’attaquer à la spéculation immobilière et mettre au clair le « chaos » réglementaire en matière financière. Plus facile à annoncer qu’à concrétiser.
Selon lui, la mission première des banques doit être de « soutenir l’économie réelle » Il a fort à faire : les crédits immobiliers se sont envolés à 688 milliards d’euros en 2016, soit 45% du total des prêts bancaires. Les appartements sont achetés dans des quartiers fantômes et restent vides, car ils sont destinés à la spéculation, et les prix s’envolent. Le prix moyen du mètre carré a bondi l’an dernier de 49% à Shenzhen et de 38% à Nankin.
C’est sur le thème « réduire l’endettement sans freiner la croissance » que va se tenir dimanche la session annuelle des 3.000 délégués de l’Assemblée nationale populaire (ANP). Elle sera suivie à l’automne par un évènement encore plus important : le congrès du Parti communiste qui a lieu tous les cinq ans. À cette question très tardivement posée, celui-ci devra tenter d’apporter une réponse. Mais comment effacer tous ces mauvais plis sans en créer d’autres ?
Le parti communiste tire sa légitimité de la prospérité croissante du pays, or celle-ci, pour s’en tenir aux chiffres officiels, est tombée à 6,7% en 2016, le plus faible taux depuis un quart de siècle. L’objectif 2017, qui sera dévoilé dimanche par le premier ministre Li Keqiang, se situera dans la fourchette 6,5%-7% pour ne pas démentir son caractère politique.
Maintenir à bout de bras une économie en favorisant la survie d’activités dépassées, en finançant des programmes massifs d’infrastructures et en maintenant des taux d’intérêt très bas a déjà trop duré. Il en a résulté une bulle spéculative dans les matières premières et l’immobilier dont l’éclatement serait redoutable. Il est maintenant question de diminuer le soutien à court terme et d’accroître la maitrise financière, mais le temps n’est plus où la PBoC faisait la pluie et le beau temps, en raison du développement effréné du shadow banking et des implications des banques publiques dans son financement. Le vieux système témoigne d’une grande inertie, tandis que la dynamique dont est porteur le nouveau n’entraîne qu’une partie de la société, qui plus est sur une mauvaise pente. Là est toute la difficulté.
Faute de parvenir à stabiliser la situation, et en raison d’un nouveau ralentissement de la croissance qui attiserait les tensions sociales et accentuerait les fuites de capitaux à l’étranger, pesant encore davantage sur la valeur d’un yuan déjà à son plus bas depuis huit ans, les conditions d’un affrontement avec l’Amérique de Donald Trump se réunissent. Ce dernier pourrait mettre à exécution ses menaces de taxation massive des importations chinoises. Le gouvernement chinois pourrait de son côté faire vibrer la fibre nationaliste, avec comme théâtre un face à face militaire en mer de Chine méridionale, dans un contexte de forte augmentation des crédits militaires américains.