Billet invité.
La masse des prêts douteux inscrits au bilan des banques européennes est l’un de ces grands succès dont les plus hautes autorités ne se vantent pas, et pour cause. Au choix, ces actifs toxiques sont le souvenir de la crise des subprimes ou l’effet de leur politique de déflation. Qualifiées de NPL dans le jargon – acronyme anglais de « prêts non performants » – leur valeur représente tout de même un petit millier de milliards d’euros au nominal.
Obnubilés par la relance de la croissance, ces mêmes autorités donnent l’Espagne en témoignage de leur réussite, sans prêter attention à la poursuite de la crise sociale. Il y a en effet croissance et croissance, on commence à le comprendre ! Coincées par leur politique de désendettement prioritaire, ne pouvant financer des plans d’investissement ou distribuer du pouvoir d’achat, leur seul issue est de favoriser la relance par le crédit ! Dans cette optique, les bilans des banques doivent être soulagés de leurs NPL afin de retrouver des capacités de prêt, en espérant que la demande correspondante sera au rendez-vous. Mais ce pari est tout aussi illusoire que celui qui consistait hier à s’appuyer sur une politique de l’offre, cette autre chimère.
Il est fait mystère des raisons de la faiblesse de la croissance, s’interrogeant sur le vieillissement de la population ou sur l’absence d’innovation technologique. C’est pour mieux oublier la faiblesse de la demande, car elle mène directement à l’inégalité de la distribution de la richesse, une porte qui doit rester fermée. D’où l’appel au crédit salvateur.
Les NPL, ou comment s’en débarrasser ? L’idée centrale est de favoriser la rencontre entre l’offre des banques et la demande d’investisseurs désireux d’acheter des NPL pour les revendre ensuite avec profit. Mais il faut s’entendre sur le montant de cette vente, et là tout cafouille, et la rencontre ne se fait pas ! Les banques veulent minorer leurs pertes et les investisseurs, leurs risques. Jamais en veine d’une explication, les experts font alors doctement savoir qu’il y a « asymétrie d’information » et que « la compilation de données harmonisées doit permettre aux prix de converger vers leur valeur réelle de long terme ». Car c’est ainsi, tenons-nous bien, qu’il est prévu de calculer le « prix économique » des actifs, faute de prix de marché.
La création de bad banks est une solution toute trouvée, dans l’attente que le marché secondaire s’anime. Mais il y a un hic : qui épongera leurs pertes, si celles-ci achètent aux banques leur NPL avec une trop faible décote ? L’État devra-t-il les rembourser ou la banque de départ les récupérer en vertu des nouvelles règles européennes ? S’il est toujours possible de retarder le moment où l’on doit constater les pertes, il faut bien que quelqu’un les prenne à son compte un jour ou l’autre ! A moins, encore une fois, que la décote acceptée au départ par les banques ne soit pas une demi-mesure.
Lors du démarrage de la crise, quelques voix dont celle de Willem Buiter s’étaient élevées pour préconiser la création de bad banks, mais la solution était trop novatrice, et la mesure du problème n’avait pas été prise. Des bricolages s’improvisèrent avec la création de structures de défaisance internes et la distribution de garanties publiques. Puis l’on assista, de 2008 à 2014, à la création de bad banks à laquelle très peu de pays échappèrent, dont l’Italie. Ce qui fut sa grande erreur. Une quinzaine furent créées au Royaume-Uni, en Allemagne, en France et en Belgique (Dexia), mais aussi en Espagne, en Autriche et en Irlande… Puis on en parla le moins possible mais elles sont toujours là.
Aujourd’hui, l’Association bancaire européenne (EBA) revient à la charge. Elle est favorable à la création d’une bad bank européenne, tandis que la BCE préconise un réseau européen de celles-ci, selon une formule plus acceptable pour le gouvernement allemand. Parallèlement, un travail a été engagé pour harmoniser la comptabilisation des arriérés et des règles de provisionnement. Et les normes comptables IFRS9 ont été adaptées pour adopter des modèles de dépréciation fondés sur les pertes attendues et non plus constatées… Toutes ces mesures étant destinées à favoriser la rencontre évoquée plus haut, tout en minimisant les pertes encourues par les banques.
Il est en effet urgent de passer à la phase 2 de l’opération, que l’on pourrait intituler « sauvez les bad banks ! ». Leur situation n’est en effet pas toujours rose, et il faut anticiper. Dans le cas de la bad bank espagnole, la Sareb, l’État ne possède que 45% de son capital, et c’est à hauteur de cette participation qu’il devra éponger d’importantes pertes qui s’annoncent probables. Tour de passe-passe, un décret-loi du gouvernement espagnol lui a permis de ne pas imputer la charge de moins-values latentes de 3 milliards d’euro sur ses fonds propres, mais pour la suite…
Le cas de la Nama, cette bad bank irlandaise souvent donnée en exemple, mérite aussi d’être regardé de plus près. Certes, elle peut se prévaloir de résultats spectaculaires dans la gestion de son stock de NPL, mais c’est parce qu’elle n’en avait recueilli que la crème ! Résultat, le taux de NPA irlandais a bien fondu de moitié depuis 2013, mais il restait en 2016 parmi les plus élevés d’Europe (14,5%), très proche de celui de l’Italie (16,4%).
Nous ne jouerons pas les étonnés, il y a encore beaucoup de cafouillage en perspective.