Billet invité.
La Fed est dans l’expectative avec l’arrivée d’un président dépensier qui pourrait changer la donne, si toutefois le Congrès à majorité républicaine s’y prête. Dans la perspective de la fin du mandat de Janet Yellen en février 2018, et la désignation d’un nouveau président de la Fed par Donald Trump, celui-ci se prépare à asseoir son influence en procédant également à des nominations au sein du Federal Open Market Committee (FOMC), sur le mode qui prévaut pour la Cour Suprême. Bénéficiant déjà d’une majorité au Sénat et à la Chambre des représentants, il conforterait ainsi davantage ses pouvoirs.
Gravée dans le marbre, l’indépendance des banques centrale serait dans l’air du temps. La BCE n’est pas à l’abri d’une telle remise en question, notamment pour avoir dans les faits considérablement élargi sa mission au prétexte que tout peut attenter à la stabilité monétaire qu’elle doit préserver.
La perspective d’un renforcement du pouvoir entre les mains de Donald Trump ne doit pas masquer l’important débat qui s’est engagé aux États-Unis à propos de la taille du bilan de la Fed. Car il concerne également les autres grandes banques centrales, dans des circonstances à chaque fois différentes. Les mêmes questions se posent : la taille de leur bilan qui a considérablement enflé doit-elle être réduite ou non ? Si oui, quand, de combien et par quel moyen ? Enjeu des discussions à ce propos, un retour à la normalité ne s’impose pas pour tous.
Dix ans après l’éclatement de la crise financière, peut-on revenir à la situation « d’avant » ? Les banques centrales ayant acquis des masses impressionnantes d’actifs afin de stabiliser le système financier, peut-on considérer aujourd’hui que leur mission est accomplie et que le temps est venu de s’en dessaisir ?
Rien ne presse, à voir la prudence avec laquelle la Fed augmente ses taux de crainte des réactions du marché, ainsi qu’à entendre les alertes qui provenaient il n’y a pas si longtemps du FMI, de la Banque mondiale et de l’OCDE, selon lesquels la stabilisation en question était menacée. Mais la pression est forte pour que les taux remontent pour le grand bien des rendements bancaires, ou bien pour protéger les rentiers et accentuer la pression sur les gouvernements récalcitrants à la politique du gouvernement allemand. Se joignent au chœur tous ceux qui s’inquiètent devant les interventions des banques centrales qui entravent le libre fonctionnement du marché et qui préconisent de lui redonner sa liberté.
La Fed a vu son bilan passer de 850 à 4.500 milliards de dollars depuis 2007. Fin 2016, elle détenait 2.400 milliards de titres du Trésor et 1.750 milliards de Mortgage-backed securities (MBS). Ces derniers titres, dont la Fed, dans son rôle d’État-Providence, détient environ 25% du marché, sont adossés à des financements immobiliers, et il n’est pas question d’y toucher. Enclencher la marche arrière n’est pas une petite affaire, car jamais une opération de cette ampleur n’a été accomplie. Les outils de reprise des liquidités excédentaires dont les banques centrales disposent, comme le « reverse repo » et les facilités de dépôt à terme ne sont pas à la mesure du problème. Une fois encore, nous entrerons en territoire inconnu, réduire le bilan de la Fed pourrait déstabiliser les marchés. La hausse des taux n’étant pas le seul risque, le retrait de la liquidité étant aussi à prendre en considération, l’habitude s’étant faite à son abondance.
Un premier principe semble désormais acquis : la Fed va privilégier la hausse progressive de ses taux avant d’entreprendre quoi que ce soit en terme de réduction de son bilan et de revenir sur ses mesures non conventionnelles. Patrick Harker, le président de la Fed de Philadelphie, a proposé que cela intervienne lorsque le taux de la Fed atteindra 1%. Celle-ci se contentera alors de ne plus réinvestir lorsque des titres arrivent à maturité (sont remboursés), afin que ses engagements restent à volume constant, une stratégie dénommée « reverse tapering ». Espérant qu’en adoptant un tel pas de sénateur, les effets secondaires craints seront limités.
Ben Bernanke, le précédent président de la Fed, est intervenu dans le débat. Observant que « le niveau actuel du bilan ne pose pas de problème significatif à l’économie et au fonctionnement des marchés », il demande pourquoi il faudrait réduire son bilan pour retrouver son niveau antérieur et s’en tient, en tout état de cause, « à une extinction passive des actifs arrivant à maturité », tout en soulignant que même là « les effets d’une telle réduction du bilan de la Fed sont incertains ». On a connu plus volontaire. D’autres intervenants dans le débat se contentent de privilégier une réduction partielle du bilan, avec comme argument que la Fed retrouverait ainsi des marges de manoeuvre pour augmenter à nouveau la taille de son bilan lors de la prochaine crise…
Une telle incertitude renvoie à la totale nouveauté des problèmes auxquels les responsables sont confrontés, à leur manque de référence et d’expérience. Les banques centrales sont confrontées à des impératifs contradictoires et ne savent pas trancher. En attendant, la masse des liquidités qu’elles ont déversées dans le système financier alimente la spéculation et génère une immense bulle. Ceci dans le contexte d’une régulation qui, de l’aveu ancien du même Ben Bernanke, ne sait pas comment combattre le risque systémique. Les débats en cours sur les chambres de compensation des produits dérivés, ces concentrés de risque, illustrent les difficultés rencontrées. Les plus audacieux suggèrent de leur donner accès… à la liquidité des banques centrales. Si celles-ci revendaient massivement leurs titres, elles contribueraient en faire baisser la valeur, non sans effet sur le secteur immobilier et sur tous les autres détenteurs de ces titres…
Prudence et étalement dans le temps vont en tout état de cause s’imposer. Les banques centrales ne retrouveront pas de sitôt leur configuration passée, confirmant qu’une page est bel et bien tournée. La donne économique et financière a changé, et les évènements politiques en cours vont à leur tour y contribuer.