Billet invité.
La société brésilienne va-t-elle parvenir à se débarrasser de la gangrène de la corruption qui la ronge ? Débusqué il y a trois ans, le tentaculaire scandale Petrobras continue de secouer le monde politique qui craint désormais une seconde vague de nouvelles révélations. Les dirigeants de ce géant du pétrole, qui sont nommés par le pouvoir, ont financé les caisses noires des partis politiques et de leurs plus influents responsables, via un cartel illicite des grands groupes du BTP à qui ils confiaient des contrats en sous-traitance.
Sous les auspices du juge fédéral Sergio Moro et du chef de l’équipe des procureurs Deltan Dallagnol, 259 inculpations ont déjà été prononcées et des dizaines de personnes ont été condamnées en première instance à des peines de prison. Le président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha – l’artisan de la chute de Dilma Rousseff – a lui même chuté et le président du Sénat, Renan Calheiros, est dans la ligne de mire du Tribunal suprême fédéral. Les grands patrons du BTP sont derrière les verrous, dont le Pdg du premier d’entre eux, Marcelo Odebrecht, condamné à une peine de 19 ans de prison. C’est une véritable hécatombe qui porte bien son nom de « Lava jato », nettoyage au Karcher.
Afin d’obtenir des remises de peine pour lui-même et ses 77 collaborateurs, ce dernier a collaboré avec la justice. Les confessions négociées dans la plus grande discrétion viseraient, selon la presse brésilienne, 130 hommes politiques de tous bords, parmi lesquelles l’actuel président de la République, Michel Temer. Les nouvelles révélations ont pris du retard en raison de la mort providentielle dans un accident d’avion du juge de la Cour suprême chargé de les avaliser. Un nouveau juge doit être nommé, sur lequel est fondé l’espoir qu’un arrêt soit porté aux révélations. Le juge fédéral Sergio Moro s’est dit « perplexe » à propos de cet accident, une enquête est en cours.
Le procureur Deltan Dallagnol, qui a qualifié tout le processus d’« îlot de justice et d’espoir dans un océan d’impunité », relativise l’impact final de « Lava jato » : « sans un changement en profondeur des structures qui génèrent la corruption, il n’y a pas de raison que ça s’arrête ». Il faut se rappeler que la victoire aux présidentielles de Lula avait en son temps énormément bénéficié des campagnes contre la corruption du Parti des travailleurs qui se présentait à juste titre comme n’ayant jamais été impliqué dedans…
La corruption est en effet systémique, et les enquêtes criminelles ne peuvent prétendre l’éradiquer. C’est pour avoir cherché des alliances au sein du vieux monde politique brésilien – cet héritage du clientélisme porté à son plus haut niveau – que le Parti des travailleurs s’est lui-même perdu. La déception a été immense, mais l’espoir n’a pas disparu. Il se manifeste autrement, porté par les classes intermédiaires des mégapoles brésiliennes qui ne se reconnaissent pas dans la corruption de leur représentation politique, conscientes de la fragilité de leur situation dans un pays qui a renoué avec la crise économique et où prévalent – cela nous rappelle quelque chose – les recettes ultralibérales.
Mais comment faire évoluer une société si profondément divisée, où deux économies coexistent et se nourrissent mutuellement, la formelle et l’informelle ? Où la faim est à peine éradiquée, et l’esclavage – dont l’abolition a été si tardif – est encore rencontré ? Le PT a cru que le développement de la société formelle allait progressivement résorber l’informelle, mais cela n’est que marginalement intervenu.
Sans doute aurait-il fallu trouver dans les acteurs de l’économie informelle un ressort que les « petistes » n’ont pas cherché, afin de l’actionner et de s’en servir comme levier pour transformer la société, au lieu de vendre son âme au diable au Congrès. Un mouvement de masse existait, les « sans terre », un autre ne demandait qu’à se développer, les « sans toit » … une autre histoire était à écrire, le sera-t-elle un jour dorénavant ? Celso Furtado, éminent économiste du développement et membre du PT n’a jamais été écouté, avec notamment comme résultat que si la pauvreté a pendant un temps marginalement diminué, les inégalités n’ont cessé de progresser.