Billet invité
Que pèse le destin de la Grèce oubliée dans son coin, quand Donald Trump joue l’éclatement de l’Europe en choisissant ses partenaires et en cajolant la Russie, et quand les négociateurs du Brexit effectuent les tours de chauffe d’une compétition qui s’annonce acharnée ? Les dirigeants européens, qui peinent à gérer leurs désaccords, pourront-ils longtemps conserver un front uni ? Ne préféreront-ils pas faire passer en premier la défense de leurs intérêts particuliers ? Sous ces effets conjugués, nous abordons l’acte II du démantèlement de l’Europe.
Mais sans avoir à attendre leurs effets, les artisans du malheur ne sont pas à court de ressources. En Grèce, l’imbroglio créé par le gouvernement allemand et le FMI n’a pas d’autre issue qu’une capitulation de l’équipe de Syriza, à moins que celle-ci ne se décide à rendre son tablier, après avoir tout essayé. Il est exigé d’elle qu’elle prenne dès maintenant des engagements au cas où elle n’atteindrait pas après 2018 des objectifs d’excédent budgétaires totalement non crédibles. Ces excédents sont calculés afin que la dette devienne soutenable sur le papier et ne soit pas restructurée. En fait de calcul, ceux qui aboutissent à ces objectifs sont purement politiques et visent à faire tomber le gouvernement grec. Le déblocage du léger toilettage de la dette mis en œuvre par le Mécanisme européen de stabilité (MES) ne masquera pas leur intransigeance. Un nouveau bras de fer est engagé, la Grèce ayant besoin de fonds d’ici juillet afin de rembourser des prêts antérieurs. Au sortir d’une réunion de l’Eurogroupe, le ministre français des finances, Michel Sapin, a évoqué la « fenêtre d’opportunité qui va bientôt se refermer parce qu’il y a des échéances électorales », plantant le décor faute de pouvoir le changer.
Il est ainsi pris le risque de déclencher une nouvelle crise obligataire touchant les pays les plus fragiles, le Portugal en premier lieu mais aussi l’Espagne et surtout l’Italie. Mais chaque situation nationale a sa dynamique. Ainsi, il aurait pu être considéré comme préférable d’attendre l’année prochaine afin de croiser le fer avec Mario Draghi, au risque répété de tendre outre mesure le marché obligataire, mais il faut répondre sans attendre aux attentes qui se manifestent dans l’électorat allemand de la CDS/CDU.
Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, s’est ainsi fait l’écho de Sabine Lautenschläger, tous deux gouverneurs de la BCE, pour demander qu’un calendrier de diminution progressive des achats de titres obligataires soit établi et qu’il soit mis fin à la politique des taux d’intérêt très bas qui pénalisent les épargnants. Toutes mesures que François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, juge par contre adaptées aux circonstances. Sans surprise, on retrouve au sein de la BCE les mêmes clivages qu’au sein de l’Eurogroupe. Ils reflètent la disparité de situations nationales réclamant à la BCE des politiques appropriées à chacune alors qu’elle ne peut en avoir qu’une.
Ce n’est pas tout. En Italie, la situation est en train d’échapper des mains. Une décision de la Cour Suprême à propos du système électoral y rend plus probable la tenue d’élections au printemps prochain et contribue à accroître la confusion politique régnante. L’objectif était au départ de barrer la route au Mouvement des 5 étoiles, mais désormais tous les partis « populistes » vont être au contraire favorisés, aucun ne pouvant toutefois prétendre seul accéder au pouvoir dans un système restant proportionnel, avec pour conséquence une multiplicité d’alliances envisageables. Que Matteo Renzi et le parti démocrate, seuls favorables à l’euro, l’emportent, n’est plus désormais qu’une hypothèse parmi d’autres.
Les nerfs semblent être à vifs, à lire Jeroen Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe. Évoquant la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, il craint de retrouver sur ses rives « une sorte de paradis fiscal », en référence aux menaces de Theresa May de « changer les bases du modèle économique britannique » et de fixer « des taux d’imposition compétitifs pour attirer les meilleures entreprises du monde et les principaux investisseurs ». Étonnant qu’il n’ait pas encore perçu que le Royaume-Uni est le plus important paradis fiscal du monde, à moins – comme c’est plus probable – qu’il veuille se servir de son argument pour tempérer les ardeurs de négociateurs européens qui relanceraient la guerre au moins-disant fiscal en rétorsion !