LES DÉFIS TECHNOLOGIQUES ET FINANCIERS DE FUKUSHIMA, par François Leclerc

Billet invité.

Confrontés au démantèlement de la centrale et à la gestion des déchets contaminés, les liquidateurs de la centrale de Fukushima font face à de multiples défis qui ont en commun de les dépasser. Avec comme parade pour les plus importants qu’ils sauront faire demain ce qu’ils ne savent pas résoudre aujourd’hui.

Les trois coriums dont la localisation reste un point d’interrogation représentent le plus important d’entre eux. Leur masse a été calculée par l’International Research Institute for Nuclear Decommissioning (Irid) et représente 880 tonnes de matériaux très hautement radioactifs. Ces agglomérats de béton, d’acier et de combustible se sont agrégés lors du dégagement d’intense chaleur qui a suivi l’arrêt du refroidissement des trois réacteurs dont le coeur a fondu. Comment les extraire du fond de ceux-ci, quelque part entre des cuves d’acier percées qui n’ont pas résisté et le dernier rempart que représente leur semelle de béton, si cette dernière a résisté, où ils se sont probablement étalés et ramifiés ? Où et par quels moyens les entreposer ensuite, une fois transportés ? Tout reste à inventer et à faire fonctionner dans un environnement mortel pour les humains et auquel l’électronique des robots ne résiste pas longtemps.

La même question des moyens se pose à une échelle de radioactivité moindre mais dans des enceintes où elle reste très élevée. Ce sont trois réacteurs et leurs bâtiments et installations, hautement contaminés, qui doivent être entièrement démantelés, représentant une énorme masse de béton et d’acier.

Lorsque l’on descend dans l’échelle de la radioactivité et des défis, les barres de contrôle causent encore beaucoup de soucis. Les liquidateurs sont toujours à la recherche d’un site pour les enfouir à 70 mètres afin d’être sous surveillance pendant 100.000 ans. Et, quand ce n’est pas l’intensité de la radioactivité qui fait problème, c’est le volume des déchets qui intervient.

Mélangées aux eaux de la nappe phréatique, celles du refroidissement des réacteurs sont en permanence pompées, désalinisées puis décontaminées, mais le tritium résiste toujours au traitement. La pérennité du stockage des 900.000 mètres cubes de cette eau contaminée dans des centaines de réservoirs n’est pas assurée, en raison de phénomènes de corrosion dus à une désalinisation imparfaite et de production d’hydrogène entraînant des risques d’explosion. Les autorités exercent de fortes pressions pour que cette eau contaminée soit tout simplement rejetée à la mer, au prétexte qu’elle y sera diluée. Mais à ce jour, elles ne sont pas parvenues à leurs fins devant l’hostilité déclarée de l’opinion publique japonaise.

Un tel expédient n’est pas possible pour les déchets résultant de la décontamination de la zone qui a été interdite autour de la centrale lors du démarrage de la catastrophe. Elle a été partiellement réouverte par le gouvernement, là où cela est possible, afin de présenter une vitrine et de faire la démonstration que tout est sous contrôle. Pourtant, héritage d’une décontamination précipitée et réalisée sans rigueur ni méthode, des dizaines de millions de mètres cubes de déchets de terre et de végétaux sont éparpillés et stockés dans des conditions appelées à vite se dégrader, le plus souvent dans des sacs en plastique à l’étanchéité relative.

C’est pourquoi Tepco, le propriétaire et l’exploitant de la centrale, a pour objectif de créer un centre d’entreposage unique qui occuperait 16 kilomètres carrés autour de la centrale, une solution destinée à durer 30 ans, mais les propriétaires des terrains rechignent à les vendre et seulement 10% de la superficie a été jusqu’à maintenant réunie.

En attendant, les déchets restent éparpillés ou répartis sur une centaine de sites, sans inspection de l’Autorité de régulation nucléaire. Des contrôles diligentés par la Cour des comptes ont toutefois mis en évidence que des mares d’eau de pluie contaminée après ruissellement sur les sacs se créent au pied de leurs amoncellement.

Quand on en vient aux coûts, l’addition ne cesse de grimper. Le gouvernement japonais a annoncé que la facture avait quasiment doublé depuis décembre 2013, date de sa précédente estimation. Elle est désormais d’un montant présumé de 177 milliards d’euros, une fois additionnés les coûts du démantèlement (65 milliards d’euros) – qui a quadruplé selon le ministère de l’industrie (Meti) – de décontamination de l’environnement (32,5 milliards), du dédommagement des habitants (64 milliards) et de la création du centre d’entreposage des déchets (13 milliards). Par contre, les dédommagements aux Japonais vont être plafonnés et les aides au logement attribuées aux évacués vont être supprimées afin de les inciter au retour dans les zones officiellement décontaminées.

Il est déjà acquis que ce que les contribuables ne payeront pas, les consommateurs le feront. Le prix du transport de l’électricité va déjà être augmenté. Et si le gouvernement annonce qu’il se remboursera partiellement en venant ses parts dans Tepco, qui les achètera étant donné sa déconfiture ?