Billet invité.
Les forces réactionnaires européennes ont trouvé avec le gouvernement allemand et ses dogmes ordo-libéraux un puissant allié. Grâce à son verrouillage, le rêve d’une restriction prononcée des moyens et du rôle de l’État a pris de la substance, à la faveur de la diminution précipitée du déficit public, une fois celui-ci gonflé par le coût du sauvetage du système financier. Ce qui s’est traduit par un les Européens vivent au-dessus de leurs moyens sans appel, permettant de présenter le néolibéralisme comme une solution.
Afin d’accroître la productivité, la diminution du coût du travail est mise sur ses rails ; la retraite par capitalisation est favorisée au détriment de celle par mutualisation, ainsi qu’un accroissement du rôle de mutuelles de santé de plus en plus mal nommées, les deux phénomènes concourant au développement des inégalités ainsi qu’à accélérer, en guise de croissance, le développement d’une société à deux vitesses déjà bien réalisée.
Ce n’est pas seulement l’Europe dont le démantèlement est engagé qui est marquée par de profondes disparités sociales. Chacune de ses composantes nationales l’est aussi, à des degrés plus ou moins prononcés. Si la Grèce, condamnée à l’austérité éternelle, est jusqu’à ce jour restée un cas unique, c’est que les dirigeants européens ne peuvent pas se payer le luxe d’une multiplication de tels cas dans le contexte aggravé d’un Brexit qui porte leur empreinte. Mais tous les pays qui se sont trouvés dans l’obligation de demander un plan de sauvetage ont subi une sévère cure d’austérité dont ils ne se sont pas remis, faute de s’être traduite par les effets annoncés : devenu structurel, le chômage massif ne se résorbe pas significativement. La crise sociale qui en découle a eu comme effet une crise politique généralisée à toute l’Europe.
Une parenthèse électorale va-t-elle s’ouvrir en 2017, année pendant laquelle se trouvent concentrés les rendez-vous électoraux des trois premières puissances européennes – l’Allemagne, la France et l’Italie – et pendant laquelle les négociations sur la sortie de l’Europe du Royaume-Uni devraient débuter ? Il n’est pas souhaité qu’une nouvelle crise éclate dans une telle conjoncture, et les gouvernements espagnol, italien et portugais ont en conséquence disposé de marges de manœuvre de la Commission qu’ils peuvent espérer voir renouveler. Mais cela ne règle pas tout. Tout nouvel épisode d’exode européen des réfugiés à l’initiative d’un président turc qui pratique dans l’improvisation une fuite en avant aurait des conséquences électorales incalculables.
De quoi va être faite la première année de mandat de Donald Trump ? Quels gouvernements sortiront des consultations européennes à venir ? Sous quels auspices les négociations du Brexit vont-elles débuter ? Quels seront les successeurs de Jean-Claude Juncker et Mario Draghi à la tête de la Commission et de la BCE et quelle sera leur politique ? A-t-on jamais connu une telle avalanche d’incertitudes concentrées en si peu de temps ?
Après le temps des certitudes est venu celui de la confusion. Ce n’est pas un système financier n’ayant toujours pas retrouvé ses assises qui en est cette fois-ci à l’origine, ce sont désormais les règles bouleversées du jeu politique. Le rejet des élites et des partis de gouvernement favorise l’émergence de courants que celles-ci dénomment avec morgue « populistes » en les mettant dans le même sac. N’ouvrant pas une voie royale à l’avènement d’une autre société, ceux-ci n’en expriment pas moins un puissant rejet de l’actuelle, dont il devient impossible de ne pas tenir compte.
Theresa May s’y efforce pour sa part, à condition que l’opportunité lui en soit laissée. Initialement présentée à tort comme une nouvelle Margaret Thatcher, elle promeut une toute autre politique, s’inscrivant dans une ère « post-libérale » qui évoque plutôt le conservateur Benjamin Disraeli. La première ministre appelle à un interventionnisme accru de l’État dans l’économie, préconise une « stratégie industrielle », et dénonce les mauvaises pratiques des entreprises. Elle exprime sa préoccupation à l’égard de ceux que « la libéralisation et la mondialisation ont laissé de côté ». Devant le congrès de son parti, elle a même lancé que partout où « les marchés ne fonctionnent pas, il est temps de se rappeler le bien que l’État peut faire ». De très nombreux Britanniques, semble-t-elle avoir compris, sont usés par dix ans d’austérité budgétaire soutenue, de stagnation salariale et de hausse ininterrompue du prix des logements.
Certes, Theresa May n’aura pas nécessairement les coudées franches, mais elle cherche à se rallier des électeurs travaillistes qui prennent leurs distances avec un Jeremy Corbyn trop extrême à leur goût, ainsi qu’à rassembler l’ensemble des Britanniques, la sortie de l’Union européenne n’allant pas être une partie de plaisir et risquant de décevoir les attentes de ceux qui l’ont votée.
Elle fait toutefois preuve d’un sens politique qui fait défaut à la droite française, le vainqueur de ses primaires en tête. En plébiscitant à contre-temps le programme de François Fillon, elle n’a pas démenti sa réputation d’être « la plus bête du monde », comme le socialiste Guy Mollet qui la fréquentait beaucoup l’avait qualifiée.
In fine, ces considérations renvoient à l’avenir de la politique menée par le gouvernement allemand, que François Hollande n’a jamais voulu ou pu infléchir (si le doute est permis). Sa poursuite sous les auspices de l’inflexible Wolfgang Schäuble mènera tout droit à l’éclatement de la zone euro. L’assouplir impliquera une volonté politique d’Angela Merkel dont elle n’aura pas nécessairement les moyens.
Comment, en effet, décadenasser ce qui a si soigneusement été verrouillé ? Cela a notamment comme conséquence, pour ne pas prêter le flanc à des actions en justice, que la BCE plafonne le montant des titres obligataires portugais dans le cadre de son programme en cours, car elle doit répartir ses achats au prorata de la participation des États à son capital pour que chacun ne finance que sa dette. Le Portugal aurait pourtant le plus grand besoin, avec la Grèce dont les titres restent toujours hors-jeu, d’un coup de pouce de la banque centrale faisant baisser leur taux, mais ce sont les titres allemands qui en bénéficient en premier lieu….
Ils sont tous tombés dans leur propre piège et 2017 sera peu vraisemblablement la parenthèse recherchée.