Billet invité.
Dans l’attente du résultat des présidentielles américaines, ce lundi est déjà un jour remarquable. Que ce soit en Italie ou en Grèce, au Royaume-Uni ou à l’échelon européen, les processus mal engagés suivent leurs cours péniblement et tout parait enclenché pour se poursuivre ainsi.
Avec la Grèce et le Brexit, l’accord passé avec le régime turc représente la troisième illustration en date d’une gouvernance désastreuse faite d’erreurs magistrales. Si la dramatique situation des réfugiés cantonnés aux portes de l’Europe n’était pas suffisamment exemplaire à cet égard, la situation de dépendance vis à vis du régime dictatorial turc dans laquelle les plus hautes autorités européennes se sont placées est l’amorce d’une véritable banqueroute morale. Que ce soit avec la Russie ou avec la Turquie, celles-ci sont en passe de rééditer l’équivalent de nouveaux Munich.
On pressent que tout sera fait, côté autorités européennes, pour préserver la fermeture de la frontière turque aux réfugiés, et que leurs yeux vont rester fermés – aux protestations de pure forme près – devant les atteintes aux droits de l’homme d’un régime dont les traits dictatoriaux s’accumulent, qui vient de mettre en prison neuf journalistes en attendant leur procès. Demain, comment sera-t-il possible d’ignorer le rétablissement de la peine de mort, qui est agité comme un chiffon rouge par l’autocrate ivre de son pouvoir, s’il devait finalement intervenir ?
Une forte tension est réapparue au Royaume-Uni à l’occasion de l’arrêt de la Haute Cour impliquant la consultation du Parlement aux fins du déclenchement du processus de sortie de l’Union européenne. On sait que Theresa May, la première ministre, va faire appel auprès de la Cour Suprême et qu’il lui restera toujours, en dernière recours, la ressource de convoquer des élections afin de renforcer son camp au Parlement. Les travaillistes ont quant à eux décidé de rester dans le rang, à condition qu’il leur soit laissé un peu d’espace pour exister. On ne voit donc pas le Brexit s’interrompre, mais on a toutes les raisons de prévoir que son processus ne va pas couler comme un long fleuve tranquille… Le pays est profondément divisé en deux camps irréductibles, et les tensions rejailliront à tout moment sous n’importe quel prétexte, l’Union européenne vivant à leur rythme.
Le gouvernement britannique recherche les moyens d’actionner en début d’année prochaine l’article 50 qui engage le retrait volontaire et unilatéral de l’Union. Cela ouvrira une période de négociation prévue pour durer deux ans. Les autorités européennes prennent de leur côté les devants pour ne pas se faire déborder. Jean-Claude Juncker met en garde contre tout accord isolé d’un membre de l’Union avec le Royaume-Uni, et Jean-Claude Barnier – en charge des futures négociations côté européen – étudie le durcissement des dispositions permettant aux établissements financiers d’un pays non membre de l’Union, mais qui sont régis par des règles d’équivalence réglementaires, d’accéder aux marchés financiers. Pour entamer la négociation en position de force par la porte de devant, il ferme la porte de derrière !
Mario Monti, Silvio Berlusconi, Lamberto Dini, Massimo D’Alema et Ciriaco De Mita : cinq anciens Premiers ministres italiens se sont unis pour s’opposer au projet de réforme constitutionnelle et appeler à voter « non » lors du référendum de Matteo Renzi. Une aile de son parti participe même à cette campagne destinée à le déstabiliser. Sous couvert de lutte contre les archaïsmes du système politique italien – qui est loin d’en être exempt – Matteo Renzi cherche à façonner l’amorce d’un régime présidentiel afin de rompre avec l’immobilisme de la classe politique italienne.
Un « non » majoritaire n’impliquerait pas nécessairement sa démission, telle qu’il l’a initialement annoncé, mais cela le placerait dans une position difficile, n’ayant comme issue que de négocier avec Bruxelles de faibles marges de manœuvre budgétaires pour dispenser des petits cadeaux électoraux, et non de véritables politiques de relance (qui pour être efficaces doivent être européennes). Pas de quoi en tout cas démontrer la justesse de sa politique et stopper la montée électorale menaçante du Mouvement des 5 étoiles.
La Grèce va-t-elle avoir finalement raison du rigide Wolfgang Schäuble, qui s’est tant acharnée sur elle ? De plus en plus isolé au sein de l’Eurogroupe, il pourrait devoir se résoudre à manger son chapeau à propos de la restructuration de la dette du pays, à laquelle il continue farouchement de s’opposer. Le FMI reste de son côté inflexible et se refuse à participer financièrement au 3ème plan de sauvetage en cours, tant que le blocage n’aura pas été levé. Afin de passer avec succès le second examen de son application par le Quartet et de supprimer ce préalable mis au démarrage de la discussion sur la restructuration de la dette, et ainsi lever les obstacles à la poursuite du programme de privatisations, Alexis Tsipras a remanié son gouvernement .
Sans doute va-t-il falloir parler de reprofilage – et non de restructuration – car une telle pseudo solution pourrait être recherchée, afin d’éviter d’infliger des pertes directes ou indirectes aux États européens créanciers. À cette fin, les taux d’intérêt pourraient être encore diminués et le calendrier de remboursement rallongé au-delà de 40 ans, avec un report le plus tard possible des années les plus lourdes. Certains mauvais esprits pourraient qualifier de fuite en avant cette politique, mais Alexis Tsipras ne manquerait pas de la présenter comme une victoire, car donnant un peu d’air, et Wolfgang Schäuble enregistrerait un premier recul en annonçant probablement d’autres.
Redonner un peu de marge de manœuvre aux gouvernements serait de bonne politique, maintenant que le pli des réformes ultra-libérales est pris et qu’elles peuvent continuer sur leur lancée. C’est ce que le FMI, la Banque Mondiale et l’OCDE ont réclamé, inquiets de la montée de la crise politique européenne. Mais les plus hautes autorités, à qui décidément tout réussi, seront-elles capables de négocier ce petit virage là ?