AVIS DE GROSSE DÉPRESSION SUR WASHINGTON, par François Leclerc

Billet invité.

L’ambiance n’était pas à la joie cette semaine à Washington, où étaient réunies les plus hautes autorités mondiales à l’occasion du G20 finance et des assemblées générales du FMI et de la Banque Mondiale. Le FMI avait d’entrée de jeu fait un constat alarmiste : « Les pressions croissantes vers des mesures de repli constituent une menace exceptionnelle pour la croissance mondiale ». Il faut dire que la poursuite de la mondialisation est considérée comme la voie royale du retour de la croissance. Elle est même devenue la dernière cartouche, les politiques monétaires ultra-accommodantes des grandes banques centrales ayant atteint leurs limites.

D’ordinaire, ces rencontres planétaires semestrielles résonnent de pétitions de principe répétées en faveur du libre-échange et de la libéralisation du commerce. Mais, cette année, une forte inquiétude a régné en raison du contexte politique, conduisant à changer de discours.

Celui-ci n’est pas brillant. Aux États-Unis, Donald Trump fait un tabac en menaçant la Chine de guerre commerciale et le Mexique de représailles douanières, tandis que le Brexit – dont les modalités et les conséquences sont imprévisibles – a pris par surprise les dirigeants européens et donne le mauvais exemple dans une Europe qui se délite. Même Jean-Claude Juncker en vient à déclarer que « l’Europe est en train de négocier, mais l’Europe ne va pas s’agenouiller devant les Américains. Nous n’allons pas jeter à tous vents les principes qui ont fait le succès de l’Europe », témoignant de la force du courant d’opinion qui s’oppose au projet de traité de libre-échange transatlantique (TTIP).

Wolfgang Schäuble en a tiré la leçon. « Il y a un dénominateur commun : de plus en plus de gens n’ont pas confiance dans les élites, dans les dirigeants économiques et politiques ». Un constat partagé par Paulo Nogueira Batista, le vice-président de la banque de développement créée par les grands pays émergents des BRICS.

Le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, a appelé à chasser les « sombres nuages de l’isolationnisme et du protectionnisme », mais comment faire ? « Nous devons faire en sorte que la croissance soit plus équitable », a-t-il proposé après avoir constaté que les inégalités sont « trop fortes ». Christine Lagarde s’est plus prudemment avancée en observant que la mondialisation doit être « légèrement différente ». La croissance mondiale a « profité à trop peu de personnes », a-t-elle découvert, et les « perdants de la mondialisation » doivent être soutenus par des aides spécifiques, en se penchant davantage sur ceux « qui risquent d’être laissés sur le bord du chemin ». Mais la tâche n’est pas mince, reconnait-elle, dans un contexte de croissance économique et de chômage de masse qui offre un « terrain fertile » au mouvement protectionniste.

La patronne du FMI a été relayée sur le même mode par Yi Gang, le vice-gouverneur de la banque centrale chinoise, qui a martelé à son tour que « la croissance n’est pas équitable, la distribution des revenus n’est pas équitable ». Ainsi que par le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, qui constatant qu’il faut du temps pour que les fruits de la mondialisation soient récoltés, préconise entretemps de « redistribuer et reconnecter la population avec l’économie mondiale ». Tout porte à croire que les plus hautes autorités s’étaient données le mot… et pas pour rire !

Quels effets attendre de cette inflexion de leur discours ? Ces mêmes autorités semblent être soudainement saisies par la crise politique dont l’ampleur les dépasse. Faut-il saluer cette tardive prise de conscience, ou remarquer qu’elles ne se donnent pas le moyen de faire face ? Assigner à une mondialisation « new look » – dont les contours n’existent même pas sur le papier – la tâche d’adoucir les inégalités de revenu, n’est-ce pas rester sur le registre de l’incantation ?

Le rafistolage de la Deutsche Bank qui est engagé illustre que le système ne parvient pas à se réformer. Le sauvetage des banques too big to fail n’entre pas dans le schéma du bail-in, pas plus que celui des banques italiennes. Alors, concevoir une autre mondialisation inventant une division du travail reposant sur d’autres principes…