Billet invité.
Pour sauver sa banque, le PDG de Deutsche Bank John Cryan actionne le levier de dernier recours des mauvais jours et recherche un soutien politique. Assis sur le baril de poudre des produits dérivés inscrits au bilan de la banque (*) et sous la mitraille des amendes et condamnations qui pleuvent, il réfute la nécessité de procéder à une augmentation de capital, n’ignorant pas que les investisseurs ne se précipiteront pas pour y souscrire. Faisant bonne figure, mais ne trompant personne, il prétend que la banque a les moyens de faire face « avec ses propres ressources ».
Par dessus sa tête, un bras de fer est engagé entre la Fed et Angela Merkel. En refusant d’aider la banque et que l’État allemand soit son garant de dernier ressort, la chancelière place le DoJ (Department of Justice) devant ses responsabilités : le montant de l’amende de 14 milliards de dollars doit être revue à la baisse, faute de quoi la Deutsche Bank sombrera et les conséquences en seront incalculables. La référence à la désastreuse décision des autorités américaines de laisser tomber Lehman Brothers en 2008 est implicite. La Deutsche a toutes les qualités, elle est à la fois trop grosse pour faire faillite, pour être sauvée, ou pour que son PDG aille en prison.
Angela Merkel peut s’appuyer sur le FMI, qui en juin dernier a décerné à la Deutsche Bank le titre de la banque la plus systémique du monde. Wolfgang Schäuble a de son côté appelé à un « traitement équitable ». Mais la référence à l’amende de 5 milliards de dollars de Goldman Sachs pour des faits similaires, dans le but que celle de la Deutsche soit alignée, est un bien faible argument. Celle de JP Morgan a été de 13 milliards et celle de Bank of America de 16,6 milliards !
Le bilan d’activité de la Deutsche est très lourd et le moment est venu de le payer, après avoir longtemps laissé traîner. La banque a été associée à tous les grands scandales financiers : la titrisation des subprimes, les manipulations de l’indice Libor et sur le Forex, le marché des changes. Colosse de la finance, elle illustre à la fois toutes les dérives bancaires et les remèdes qui ont tenté d’y être apportés, dont le principal était de regarder ailleurs pour ne rien voir.
Dans l’obligation de revenir sur ses intentions initiales dans la crise des réfugiés, Angela Merkel rencontre déjà un premier échec. La politique d’austérité et de désendettement prioritaire qu’elle personnifie est à bout de souffle dans de plus en plus de pays. Voilà maintenant qu’elle risque de se trouver contrainte de soutenir la Deutsche Bank en engageant des fonds publics. Ce qui la conduirait à renouer avec ses mesures en faveur de Commerzbank, d’Hypo Real Estate et le plan de sauvetage des Landesbanken, qui à l’époque avaient soulevé des vagues dans les milieux conservateurs et libéraux allemands. Ce n’est pas le moment.
Si cela devait intervenir, cela signerait un échec de plus de sa politique, l’Union bancaire visant à protéger les contribuables en ne les mettent plus à contribution. Avec quel argument pourrait-elle alors empêcher Matteo Renzi, empêtré dans le sauvetage de ses banques, de procéder à l’identique en Italie. Comment pourrait-elle résister aux pressions de plus en plus insistantes d’assouplir l’austérité et de relancer l’investissement ?
Comment gagner du temps afin de passer l’échéance électorale de l’année prochaine ? Une fusion de Commerzbank avec la Deutsche a été un moment envisagée, mais elle a été vite abandonnée, car cette fuite en avant était trop périlleuse. Le confirmant, Commerzbank, dont l’État possède 25% des parts, se lance dans une restructuration d’ampleur et va supprimer 9.000 emplois, presque un cinquième de son effectif. De quelle autre mesure miraculeuse John Cryan dispose-t-il pour gagner du temps, comme il lui a été demandé par la chancelière, si la Fed ne lui accorde pas vite un gros rabais ? Angela Merkel n’est pas en première ligne, mais elle tire les ficelles.
Les tensions qui se sont manifestées sur le marché des CoCos (les obligations contingentes convertibles) expriment avec la hausse des CDS que les investisseurs ne sont pas dupes. Dans ce genre de situation, il suffit d’un rien pour que le marché s’affole et précipite les évènements. Le très sérieux quotidien Die Zeit a annoncé que le gouvernement préparait un plan de soutien à la recapitalisation de la Deutsche, dans le cadre duquel serait prévu l’injection de fonds publics permettant de monter à 25% du capital, mais l’organisme régulateur (Bafin) a immédiatement démenti… Bonjour l’ambiance !
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(*) La Deutsche détient 42.000 milliards de dollars de produits dérivés en valeur notionnelle. L’engagement réel de la banque n’est pas connu mais peut être estimé entre 1 et 5% de celle-ci. Les pertes potentielles ou acquises, qui n’ont pas alerté la BCE lors de ses tests de résistance, pourraient se chiffrer en dizaines de milliards de dollars.