Billet invité.
Les angles sous lesquels la crise européenne se sont progressivement révélés ne manquent pas. Placé au centre de celle-ci, Jean-Claude Juncker parle de « polycrises » en connaisseur. Lorsqu’elles se combinent, l’Union européenne apparait dans sa configuration actuelle au bout du rouleau, sans savoir où aller et sans ressort.
Les 16 et 17 septembre prochains, un nouveau sommet va tenter de débroussailler le terrain car il y a fort à faire vu les différentes approches qui sont défendues. Le Brexit auquel personne ne voulait croire a mis en évidence que le démantèlement de l’Europe était bien engagé et qu’il était nécessaire de réagir, mais l’accord s’arrête là. Il n’a pas suscité de choc salutaire. Aucune volonté réformatrice ne s’affirme, aucune dynamique ne paraît prête à s’enclencher. L’élargissement des compétences européennes en matière budgétaire et sociale semble hors de portée. Agissant sans contrôle démocratique, les institutions européennes ont contribué à la crise de la démocratie représentative qui s’est généralisée et qui s’exprime par un double rejet des élites et des partis de gouvernement. L’Europe est assimilée à ce qu’elle a de pire et n’est plus la voie de l’émancipation qu’elle a représenté.
Les pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Slovaquie, République Tchèque) se sont constitués en groupe de pression afin de promouvoir leur vision de l’Europe. Le Polonais Jaroslaw Kaczynski, le président du parti Droit et Justice, souhaite une « Europe d’États nationaux collaborant entre eux, au mieux sous forme d’une confédération » et prône l’élection d’un président issu des plus petits pays dans un premier temps. Il fait référence aux « quatre libertés » du marché unique, la libre circulation des biens, capitaux, services et personnes », ainsi qu’au renforcement du contrôle des parlements nationaux sur les décisions de l’Union. Mais n’est-il pas trop tard pour enclencher une telle marche-arrière, dont rien ne garantit le bon fonctionnement ?
Il y a loin entre cette conception et l’actuelle configuration de l’Union européenne, pour ne pas parler des timides propositions des uns ou des autres. Mais, travers habituel des discussions sur l’Europe, elles portent sur les institutions et leur fonctionnement au détriment des objectifs d’actions, de la politique européenne à mener car le débat sur celle-ci est tabou.
Or, si l’Europe se démantèle c’est bien parce qu’elle traverse une grave crise d’orientation, chaque pays ne poursuivant pas les mêmes objectifs ou n’étant pas favorable au même parcours. Un « Pacte de stabilité et de croissance » a été adopté en 1997, réformé en 2005, puis suivi par les cinq règlements et la directive approuvés sous le nom de « six-pack » en 2011. L’occasion était toute trouvée d’en effectuer un bilan d’étape – pour reprendre une expression affectionnée à Bruxelles – mais cela ne se fera que dans les couloirs et très accessoirement depuis la tribune. Pis, une conviction semble s’être faite : il est trop tard pour procéder ainsi ! Si la construction européenne est en cause, c’est moins en raison de l’inadéquation de ses institutions que de sa politique, dont les effets dévastateurs sont enregistrés. L’Europe est dorénavant celle par qui le malheur arrive, quelle déchéance !
Les autorités européennes vont être face cet automne à de nouvelles échéances avec l’examen des projets de budget 2017. Vont-elles appliquer leurs règles fiscales ou trouver une échappatoire, prenant garde à ce qu’elles pourraient déclencher, non seulement en raison des risques systémiques qu’elles pourraient activer mais aussi des résonances politiques qu’elles pourraient renforcer ? Car elles en sont là.
Il y a péril en la demeure ! L’électorat européen rejette leur politique et les partis gouvernementaux qui la soutiennent en font les frais. À vouloir trop exiger, les autorités européennes prendraient vite le risque de se retrouver sans point d’appui ici ou là, déclenchant une rupture évitée de justesse en Grèce, qui aurait aujourd’hui une toute autre résonance. Les temps ont changé, la crise politique européenne a pris le pas sur toutes les autres, et elles se contaminent mutuellement.
En réaction à la crise des réfugiés et aux attentats perpétrés par des jeunes européens prétendant agir au nom de l’Islam, l’Europe connait une impressionnante montée des comportements xénophobes. Certaines autorités européennes y répondent par une propagande et des mesures sécuritaires parfois attentatoires aux libertés et pouvant représenter la première phase d’une mutation plus profonde. Un contrôle social approfondi est en effet dans les marges, dont la mise en œuvre qui s’appuie sur les progrès technologiques est déjà bien partie. L’idéologie sécuritaire en est la justification, représentant une ultime réponse à la crise sociale qui s’approfondit. Les temps qui s’annoncent seront sombres si cela se poursuit ainsi.
Enfin, l’Europe est sous la menace d’une japonisation. On se le chuchote seulement, car on n’est plus à un déni près ! Le Japon se retrouve encore une fois avec une croissance nulle et ne parvient toujours pas, depuis 1997, à atteindre son objectif d’inflation de 2%, deux caractéristiques dorénavant partagées avec l’Union européenne sous la forme atténuée d’une croissance atone et d’une poussée déflationniste constante. Au Japon, rien n’y a fait durant toutes ces années de plans de relance successifs du gouvernement et d’injections monétaires de la banque centrale.
Cela nous rappelle quelque chose et n’est pas encourageant. Car si la BCE est sur les traces de la BoJ – qui achète désormais l’intégralité des émissions de dette souveraine que les banques dédaignent, ce qui n’est pas le cas en Europe – l’Union européenne ne se donne même pas les moyens d’un plan de relance à son échelle, et pourra encore moins sortir de ce piège. Les phénomènes sont de même nature et c’est bien en cela qu’ils sont considérés inquiétants.
Pour parachever le tableau, il reste les vices de construction de l’Eurozone qui ont été découverts lorsqu’il était trop tard. Une monnaie unique supposait d’autres dispositions communes, en particulier dans le domaine fiscal, mais ses membres se sont arrêtés en chemin et il est advenu ce qui devait arriver. Hier, l’Allemagne s’était fait prier pour abandonner le deutsche mark, et y avait mis ses conditions, aujourd’hui elle ne veut plus entendre parler des responsabilités communes que l’existence de l’euro suppose. Ce ne sera pas tenable longtemps.
Que va-t-il être préservé de la construction européenne ? Un peu de patience, ils seront de nouveau tous en scène pour débuter une nouvelle saison à la mi-septembre !