LES BANQUES DE LA ZONE EURO AU SANATORIUM, par François Leclerc

Billet invité.

L’Euro Stoxx Banks Index, qui exprime les variations de la valeur en Bourse des banques de la zone euro, est au pire de sa forme. Depuis le début de l’année, il a dévissé de près de 27%, soit plus d’un quart de sa valeur. Y aurait-il un léger problème ?

Les tests de résistance de l’Autorité bancaire européenne (EBA) de la fin du mois dernier avaient vocation à rassurer les marchés, mais c’est une fois de plus raté ! Il n’a pas échappé que son scénario catastrophe excluait le fort impact des taux négatifs sur la rentabilité bancaire, faussant l’exercice. Depuis le début de la semaine, l’Euro Stoxx Banks Index a continué à plonger, de 2,8% lundi et de 4,9% mardi. Malgré tous les efforts déployés par l’EBA, les investisseurs marquent leur défiance dans un environnement marqué par la crise du système bancaire italien et la faiblesse qui est maintenant dévoilée des deux principales banques allemandes, Deutsche Bank et Commerzbank.

Un plan de redressement de la banque Monte dei Paschi di Siena (MPS) a bien été finalement divulgué dans l’urgence, concluant de longues tractations entre le gouvernement italien et la Commission qui se devaient d’aboutir. Affichant une solution de marché mais n’appliquant pas la règlementation de l’Union bancaire, il est en réalité soutenu à tous les niveaux par des garanties publiques et sauve péniblement les apparences ! Pis, sa fiabilité est déjà largement mise en doute, ce qui pourrait conduire à activer certaines de ces garanties lors de son déroulement.

S’il prétend régler le cas le plus criant de MPS, ce plan laisse face à ses besoins de recapitalisation le système bancaire italien dans son ensemble. C’est notamment le cas pour Unicredit – la première banque italienne en termes d’actifs – dont les besoins en cette matière sont estimés de 5 à 10 milliards d’euros, et qui en est à vendre des bijoux de famille pour se procurer du cash, signe que les investisseurs ne se précipitent pas.

La Deutsche Bank ferme 200 filiales en Allemagne, supprime 9.000 postes de travail (près d’un dixième de son effectif mondial), et interrompt tout versement de dividendes aux actionnaires. John Cryan, son nouveau Pdg, a cette formule magnifique : « si la faiblesse actuelle de l’environnement économique persiste, nous devrons nous montrer encore plus ambitieux dans le calendrier et l’intensité de notre restructuration ». Le feuilleton des difficultés que rencontre ce géant bancaire – qui prétendait faire concurrence à ses homologues américains – connait sans cesse de nouveaux rebondissements et il ne peut s’en prendre en priorité qu’à lui-même.

Le président du conseil Italien, Matteo Renzi, a d’ailleurs mangé le morceau en décrivant l’énorme masse de produits dérivés inscrits à son bilan, dont la valeur n’est pas établie. L’écroulement de la Deutsche étant impensable, vu la taille énorme de son bilan, elle n’a d’autre choix que de réduire sa taille – en vendant notamment sa filiale Postbank – de jouer sur l’opacité de son bilan et d’augmenter ses fonds propres. Il est question de 8 milliards d’euros. La route s’annonce longue.

La facture des litiges et des amendes – qui est particulièrement salée dans le cas de la Deutsche – est progressivement épongée. C’est au tour des taux négatifs du marché obligataire de peser désormais sur sa rentabilité et ses résultats. La Commerzbank est également dans ce cas et vient d’annoncer une chute de ses profits au 3ème trimestre de 32%, son titre ayant dégringolé de 45% depuis le début de l’année.

L’aplatissement de la courbe des taux – la diminution de l’écart entre taux longs et courts – grève la marge nette d’intérêt que les banques tirent de leur activité de transformation de leurs ressources à court terme en crédits à long terme. Or cette tendance du marché est durable, éprouvant la rentabilité des banques et atteignant leur ratio de solvabilité. Le renforcement de leurs fonds propres en découle.

Or les investisseurs ne sont pas partis pour manifester un grand enthousiasme en cas d’appel de fonds aux actionnaires actuels ou d’ouverture du capital à de nouveaux dans le contexte boursier actuel, d’autant plus que le principe du bail-in de l’Union bancaire en fait des victimes en cas de problème, une fois devenus actionnaires. Rien ne va plus si l’État ne se porte plus en garantie, implicite ou explicite ! La relance du marché des obligations convertibles (CoCos) n’étant pas la solution miracle qui était espérée, il ne reste plus aux banques qu’à vendre des participations pour dégager des fonds et à réduire leurs coûts. Des restructurations sont également inévitables. C’est le cas en Italie, où la myriade de banques existantes ne peut subsister en l’état. Les réseaux allemands des Landesbanken et des Sparkassen ne devraient pas non plus y échapper. Dans les deux cas – c’était déjà celui des banques espagnoles – cela va toucher aux étroites relations instituées au niveau régional et local entre banques et pouvoir (en France c’est au plus haut niveau), ce qui n’ira pas sans fortes résistances et en fera un dossier avant tout politique.

La crise du système bancaire européen est loin d’être terminée et l’avènement des deux premiers piliers de l’Union bancaire ne protège pas les contribuables de ses effets, comme faussement revendiqué. L’état des banques a longtemps été dissimulé, et cela se poursuit tant bien que mal. Splendides et droites dans leurs bottes, les banques françaises sont épargnées, et leur solidité réaffirmée par le gouverneur de la Banque de France à chaque occasion. Mais elles doivent se sentir bien seules. S’il ne reste qu’un seul système bancaire épargné, ce serait donc celui-là !

Tant qu’il sera permis aux banques de déterminer elles-mêmes, suivant des modèles propriétaires, la Value at Risk (VaT) de leurs actifs, et de jouer sur le banking book et le trading book (1) l’opacité continuera de régner sur leurs bilans. Il en sera de même tant que tant que la fiction selon laquelle le risque porté par les produits structurés complexes est calculable, sera maintenue. Des réformes sont à l’étude sur les deux premiers dossiers, quelles chances peut-on donner aux régulateurs d’y faire la lumière  ?

Les banques continuent de détenir des produits structurés toxiques achetés à leurs consœurs américaines avant que la crise n’éclate, et elles peinent simultanément sous le poids de prêts non performants résultant de la politique de rigueur des autorités européennes. Elles n’ont pas d’autre solution que de gérer au mieux ces deux encombrants héritages en dissimulant le mieux possible leurs dégâts.

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(1) Les banques classent dans l’une de ces deux catégories les actifs qu’elles détiennent, suivant qu’elles ont choisi de les conserver ou non jusqu’à maturité. Dans ce dernier cas, elles sont autorisées à ne pas les dévaluer si le marché y incline, ayant la garantie d’être réglées à leur valeur nominale.