Billet invité.
Combien a-t-il fallu d’années, de conférences en sommets et d’études en rapports, pour qu’apparaisse un simple changement de ton et de vocabulaire ? La rigueur qui était sur toutes les lèvres a disparu, et la relance a fait sa timide apparition. Mais cela ne produit pas d’effets notables, et le FMI est conduit à diminuer sans fin ses prévisions de croissance.
Il faut dire que les faits sont têtus, incitant l’économiste américain Larry Summers à prédire en 2013 une « stagnation séculaire », reprenant l’expression d’Alvin Hansen, rejoint par de nombreux économistes comme Paul Krugman et Joseph Stiglitz. Et si certains n’ont voulu voir dans la quasi stagnation observée que des causes conjoncturelles, incriminant la baisse de la demande mondiale, d’autres se sont interrogés sur les raisons structurelles qui ne manquent pas. Sont citées (dans le désordre) : le vieillissement de la population, l’excès d’épargne dans les pays émergents, le sous-investissement, l’explosion des dettes publiques, la hausse des inégalités et l’épuisement du progrès technique.
Côté politique, cela n’a guère changé les choses. Si les restrictions budgétaires que les dirigeants se sont imposées peuvent être incriminées en Europe, comment expliquer la faiblesse de la croissance américaine qui se confirme ? Seul le gouvernement japonais annonce un nouveau plan massif de relance, alimentant son déficit budgétaire d’autant, dont le succès n’est pas plus garanti que les précédents. Et, pour raison de Brexit, le gouvernement britannique envisage d’en faire autant à l’automne prochain. Au sein de la zone euro, la plaisanterie du plan Juncker d’investissement pluri-annuel est par contre à ranger au magasin des accessoires de propagande.
Ayant longtemps recherché en pure perte les « petites pousses vertes de la croissance », nos grands communicants se sont ensuite rattrapés en prônant sans fin – et sans résultat – des réformes structurelles d’inspiration libérale. Avec comme idée fixe, qu’il fallait libérer de ce qui la bridait, une croissance qui n’attendait que cela. En supprimant par exemple la réglementation des professions « protégées », comme par exemple les pharmaciens. La croissance d’avant avait disparu, mais elle allait revenir : c’est fort de cette conviction bien ancrée que le monde a continué à mal tourner.
Faut-il s’y résoudre ? Depuis 2012, des économistes comme Robert Gordon mettent l’accent sur l’épuisement des effets des vagues successives de progrès technique et pointent du doigt le faux départ de la « nouvelle économie » des années 2000. Trois révolutions industrielles ont passé et leurs profondes conséquences sont désormais acquises. Mais des changements de cette ampleur ne se reproduiront pas, et il faut selon lui accepter le rendement décroissant de l’innovation dans les facteurs de productivité et de croissance.
Au regard de ce que nous percevons des progrès technologiques qui s’annoncent, et notamment de ceux qui découlent de l’Intelligence Artificielle et qui vont imposer à nos sociétés de profondes mutations, la thèse est discutable. Uber, BlaBlaCar et Airbnb ne sont que des précurseurs, bien peu de métiers n’en sortiront pas profondément bouleversés, fort peu de professions ne seront pas atteintes. Nous sommes entrés dans l’ère des algos, de la robotisation et des connexions généralisées, ce qui autorise à la fois toutes les craintes et pas mal de promesses.
Certes, d’autres « vents contraires » soufflent également pour Robert Gordon, dont la liste est citée plus haut. Un auteur et conférencier américain, Richard Heinberg, a une vision environnementale plus large des raisons de la nouvelle donne de la croissance. La croissance en soi n’est pas un objectif. On sait qu’elle se mesure avec le PIB, dont toutes les tares sont connues, et c’est de là qu’il faudrait repartir. On sait aussi que si certains de ses butoirs sont intangibles, comme l’est la finitude des ressources de la planète, ce n’est pas le cas pour d’autres. L’endettement appelle une reconfiguration radicale du système financier, tout comme le développement des inégalités.
On retombe toujours sur les mêmes problèmes.