LES PROCHAINS CHOCS SERONT POLITIQUES, par François Leclerc

Billet invité.

Ce ne sont pas les nouvelles prévisions de croissance en baisse pour l’Europe du FMI qui sont les plus importantes, car elles procèdent de la routine et en annoncent probablement d’autres, mais le constat qui en ressort : la relance a atteint son pic. Les considérants dont elles sont entourées dans un dernier document sont par contre bien plus instructifs. Pour aller à la conclusion, le FMI observe que la zone euro n’a pas la capacité d’absorber un nouveau choc (son étude a été rédigée avant le Brexit), et que ceux qui s’annoncent seront d’ordre politique.

Dans le contexte des élections allemandes de l’année prochaine, il est peu crédible d’attendre d’Angela Merkel autre chose qu’un prudent immobilisme pour ne pas donner prise à l’AfD. Ce qui va la conduire à s’opposer à toute évolution sensible de la politique européenne, tout en cherchant à en faire porter la responsabilité à la Commission et à l’Eurogroupe pour ne pas donner l’impression que l’Allemagne possède un droit de veto. Ce qui va toutefois continuer à être le cas si François Hollande poursuit comme c’est prévisible ses entrechats.

L’OCDE est à son tour entrée en dissidence, Angel Gurria son secrétaire général affirmant dans le journal économique portugais Jornal de Negocios que décider de sanctions contre l’Espagne et le Portugal est « la dernière chose dont nous avons besoin ». Il rappelle à ce propos que le dérapage budgétaire portugais a comme origine l’injection de capitaux dans la banque Banif, qui menaçait de s’écrouler, et rappelle que « quand un pays fait face à une crise bancaire, il doit faire tout ce qu’il faut pour maintenir la stabilité des marchés financiers ». Appelant à une application plus favorable à la croissance des règles budgétaires, il en propose une suspension temporaire afin que soit engagée une politique d’investissement, prenant acte sans le dire de l’échec du plan Juncker.

Les ministres des finances européens se rencontrent à nouveau à Bruxelles, selon les deux formations de l’Ecofin et de l’Eurogroupe, avec des menus chargés. La Commission européenne a ouvert la voie jeudi dernier à une procédure de sanctions inédites pour dérapage budgétaire à l’encontre du Portugal et de l’Espagne, mais a laissé le soin aux ministres des finances de prendre la décision formelle d’une sanction. Le ministre français Michel Sapin a estimé lundi que ce n’est pas mérité pour le Portugal, qui a fait « des efforts monstrueux » pour réduire son déficit. À propos de l’Espagne, il a fait part que « la difficulté, c’est de savoir avec qui nous discutons et qui prend des engagements. »

Euclide Tsakalotos, le ministre grec des finances, va profiter de l’Eurogroupe pour rouvrir le débat sur les excédents primaires contractuels du pays, dans l’intention de les réduire, anticipant qu’ils ne pourront pas être réalisés. Mais on ne voit pas comment le gouvernement allemand, qui entend donc repousser les questions ayant de fortes incidences politiques, pourrait accepter d’engager cette discussion, quand bien même le gouvernement grec argumente qu’une telle révision ne mettrait pas en cause la soutenabilité de la dette à laquelle se cramponnent officiellement les dirigeants européens.

À l’approche de la publication le 29 juillet des résultats des tests de résistance menés par l’Autorité bancaire européenne (EBA), les déclarations à propos du système bancaire européen, et plus particulièrement des banques italiennes, se succèdent à cadence renforcée. Vitor Constancio, le vice-président de la BCE s’est déclaré partisan d’une « réflexion approfondie » à propos de l’injection de fonds publics dans certaines banques de la zone euro. La réglementation de l’Union bancaire « doit bien entendu être appliquée » fait-il valoir, mais « elle doit être prise en compte dans sa totalité, incluant « l’utilisation possible d’une exemption pour des raisons de stabilité ». Il avait été précédé sur ce même terrain par Valdis Dombrovskis, le vice-président de la Commission, par le gouverneur de la Banque d’Italie, Ignazio Visco, ainsi que par Pier Carlo Padoan, le ministre italien de l’économie, tous au nom des « risques systémiques » encourus. Pour compléter le tableau, il se dit que certaines Landesbanken allemandes (les banques régionales des Länder), pourraient au passage avoir besoin de la même médecine.

Le journal italien La Repubblica vient de dévoiler le pot aux roses dans le cas du sauvetage de la troisième banque du pays, Monte dei Paschi di Siena. Celle-ci avait émis des titres à l’intention de sa clientèle pour une valeur de 2,2 milliards d’euros (avec un minimum de 1.000 euros d’investissement) afin de financer l’acquisition dans des conditions douteuses d’une petite banque, Banca Antonveneta. On comprend pourquoi Matteo Renzi ne veut pas appliquer la règle du bail-in, qui ruinerait les petits investisseurs qui ont souscrit à cette émission, dans un contexte où on croit savoir que cette pratique n’a pas été isolée. Le signal qui serait donné à ces investisseurs pourrait aboutir à une panique, un bank run, et à un effondrement du système bancaire italien.

Que va peser le rigorisme affiché d’Angela Merkel face à la déstabilisation de Matteo Renzi, si elle se poursuit, ce rempart fragilisé à l’accession au pouvoir du Mouvement des 5 étoiles ? Comme le FMI l’annonce, les prochains chocs seront politiques…