« …TIREZ LES PREMIERS ! », par François Leclerc

Billet invité.

Quelle forte dynamique le Brexit a-t-il engagé ? Les commentateurs se perdent à tenter d’en évaluer les conséquences économiques, pour les uns et pour les autres, sans véritablement la percevoir dans toute sa globalité. Un second moment Lehman, en référence à la chute de la banque américaine Lehman Brothers, n’est pas nécessaire pour considérer que l’affaire ne vient que de commencer.

La stratégie de sortie britannique n’est pas encore choisie. Cela implique de définir préalablement la place et la nature des relations que le Royaume-Uni entend avoir à l’avenir avec l’Union européenne. Or cette question se trouve au centre de la désignation d’un nouveau leader conservateur en septembre prochain. Futur premier ministre, il mènera les négociations à ce sujet afin de savoir où placer le curseur entre différentes options à préciser. Le calendrier de ces opérations, sanctionnées par l’activation de l’article 50 formalisant toute sortie, n’est lui-même pas figé.

Pour amortir le choc que représente le Brexit, l’hypothèse de l’adhésion à l’Espace économique européen (EEE) a fait couler beaucoup d’encre, mais elle s’est depuis éloignée. Les dirigeants britanniques pourraient au contraire choisir l’option d’une rupture tranchée et adopter comme perspective la signature d’un simple accord de libre-échange. Tant qu’à faire d’être dehors, profitons-en !

Le chancelier de l’Échiquier George Osborne a lancé un ballon d’essai en ce sens en proposant ni plus ni moins que l’adoption d’une politique de dumping fiscal vis à vis de l’Union européenne. Pierre Gattaz, le patron français du MEDEF, a saisi la balle au bond pour demander une diminution de la fiscalité sur les entreprises. Dans cette optique, le Royaume-Uni pourrait davantage s’affirmer pour ce qu’il est déjà, un gigantesque havre fiscal, si l’on considère l’ensemble que constitue la City et les dépendances de la Couronne aux noms si évocateurs.

Dépossédée de certaines de ses activités, comme les chambres de compensation, cette dernière pourrait bénéficier en contrepartie de mesures de dérégulation financière afin de bénéficier d’avantages concurrentiels avec les banques du continent et de mieux attirer les hedge funds. Un retour en arrière qui pèserait sur la réglementation européenne.

Cette même logique a trouvé son expression dans la décision du gouvernement britannique de laisser filer le déficit, contrairement à ses intentions anciennes, envisageant ni d’augmenter les impôts ni de réduire les dépenses. En termes de modèle économique, elle s’inscrit dans la continuité, s’appuyant sur les deux pôles d’activité que représentent les secteurs financiers et immobiliers. Ceux qui auront voté pour le Brexit dans l’attente d’une amélioration de leur situation en seront pour leurs frais, ne bénéficiant pas de leur essor. Et l’on ne s’étonnera pas si cette option prévaut, car la fuite en avant est l’hypothèse la plus tentante.

Dans un premier temps, le gouvernement britannique va récupérer sa cotisation à l’Union européenne, à laquelle ne serait pas substituée celle à l’EEE, mais ces économies seront en partie mangées par les cadeaux fiscaux destinés à attirer les capitaux. Le Pays de Galles, qui a voté pour le Brexit contre ses intérêts économiques, va voir disparaître la manne des fonds structurels européens, et le gouvernement britannique devra s’attaquer au NHS, le système de santé déjà défaillant. L’avenir ne sera pas radieux pour tout le monde.

Si le sortant n’est pas encore clair sur son devenir, les restants ne le sont pas davantage. À la question « que doit devenir l’Europe  ? », plusieurs approches sont proposées. Depuis la poursuite de son élargissement dans les Balkans, associé à une nouvelle configuration rendant aux pays-membres des compétences abandonnées, jusqu’à une « refondation » supposée ambitieuse, pour reprendre les termes des sociaux-démocrates allemands. Les gouvernements français et italien préconisent une plus grande flexibilité dans l’application des règles budgétaires et un programme d’investissement favorisant la relance. Les ministres des affaires étrangères allemand et français sont favorables à une « union politique » renforcée qui pourrait ne concerner qu’un nombre restreint de pays au sein d’une Union à deux vitesses. François Hollande navigue à vue en préconisant des coopérations renforcées. Mais tout le monde aura retenu que « le moment n’est pas adéquat pour les grandes visions », pour Wolfgang Schäuble. La voie est toute tracée, l’immobilisme va prévaloir.

On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, de la décision de la Commission d’encore repousser sa réaction face aux dépassements des déficits espagnol et portugais, également qualifiés de dérapages budgétaires. Celle-ci préfère renvoyer la balle aux ministres des finances, qui se réuniront le 12 juillet prochain, afin qu’ils prennent leurs responsabilités. Façon sujet du bac, celui de leurs discussions à venir est tout trouvé  : « comment sanctionner sans punir ? ».

Mais cela va être une autre paire de manches avec les banques italiennes, dont la situation réclame d’urgence un sauvetage dont les modalités opposent le gouvernement italien à la Commission. Les besoins de recapitalisation ne sont pas à la portée du système bancaire italien, à qui il avait été envisagé dans un premier temps de recourir, ni même à celle de l’État. L’application des nouvelles règles de l’Union bancaire déclencherait un séisme politique menaçant Matteo Renzi, qui est déjà en position délicate face à l’ascension du Mouvement des 5 étoiles. L’affaire n’est donc pas seulement financière.

Le feu vert donné par la Commission à l’octroi d’une garantie publique allant jusqu’à 150 milliards d’euros aux emprunts des banques sur le marché permet de gagner du temps mais pas de les recapitaliser comme nécessaire. Matteo Renzi aurait bien voulu utiliser le Brexit comme étant une de ces circonstances exceptionnelles justifiant de déroger à la réglementation européenne et d’injecter des capitaux publics, mais cette possibilité serait non seulement scabreuse – décrédibilisant une Union bancaire à laquelle il manque toujours l’un des trois piliers, la garantie européenne des dépôts – mais très probablement pas dans les moyens du gouvernement italien qui a lancé le chiffre de 40 milliards d’euros de besoins de financement.

Ce chiffre politique est destiné à ne pas effrayer en se situant au niveau espagnol, qui avait été financé par un plan de sauvetage européen ad hoc. Avec comme différence que Matteo Renzi n’a pas les moyens, cette fois-ci politiques, d’accepter les mesures de restriction budgétaire auquel un tel plan serait assujetti. Qu’il est bien dommage de ne pas avoir créé à temps une de ces bad bank qui permet de repousser bien au loin les échéances !

Quelle que soit la solution apportée pour renflouer le système bancaire italien, le cas d’autres grands malades ne va pas pouvoir longtemps encore été ignoré. Il ne s’agit pas du système bancaire fragilisé d’un pays de l’Europe du sud parmi d’autres, mais de l’Allemagne. Et plus particulièrement de la Deutsche Bank, l’une des mégabanques mondiales. Et de plusieurs banques régionales allemandes, ainsi que du réseau des caisses d’épargne où la BCE a été priée de ne pas mettre le bout de son nez. La Deutsche n’est pas seulement assommée par le poids de ses litiges – en terme moins convenables ses montages frauduleux et malversations, ainsi que par les condamnations et amendes qui ont suivi – mais également par de vieilles pertes cachées, du temps où elle flambait sur le marché des produits structurés où elle était reine (aux côtés notamment de la Société Générale, soupçonnée d’avoir maquillé ses pertes sur ce même marché en utilisant l’affaire Kerviel).

Ayant joué sur toute la palette bancaire, la Deutsche Bank n’est plus celle qui brillait du temps de sa toute puissance et tous les efforts seront nécessaires et ne manqueront pas pour la tenir à flot, car elle est selon le FMI le principal risque systémique au sein du club des grandes banques mondiales. L’écheveau de ses engagements réciproques avec ses homologues actifs sur les mêmes marchés de produits structurés pourrait-il être démêlé sans casse majeure  ? Pas un banquier n’a envie de s’y essayer, il vaut mieux ne pas y toucher.