Billet invité.
Suivant l’exemple du Bund, le taux de rendement de la dette japonaise qui l’avait précédé en territoire négatif en février dernier est passé dans la nuit à -0,200%, puis a continué à baisser. Sur le marché monétaire, le yen s’est envolé face au dollar et à l’euro après l’annonce du statu quo de la banque centrale du Japon (BoJ), son comité de politique monétaire s’étant contenté de maintenir le programme d’achat d’actifs de 660 milliards d’euros et le niveau des taux négatifs de la banque à -0,1%.
Pour expliquer le comportement du taux de la dette souveraine japonaise, les commentateurs ne vont pas chercher bien loin et incriminent la crainte de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Ils auraient pu s’interroger, tant la situation des deux pays est différente. L’Allemagne se singularise par ses excédents budgétaires et sa stratégie du « Schwarze Null » (le déficit zéro), tandis que la dette japonaise est la plus élevée du monde rapportée au PIB et que le déficit budgétaire du pays est financé à près de 50% par l’émission de nouveaux titres obligataires. On ne peut décrire situations plus extrêmes et ne pas se demander comment la dette japonaise peut être une valeur refuge dans de telles conditions. Soit les investisseurs sont aveuglés, soit le péril est grand ! En réalité, ils n’ont pas le choix, car les refuges sont déjà très encombrés.
Le vote britannique pourrait avoir « des conséquences économiques et financières au niveau mondial », s’est contentée d’affirmer Janet Yellen, la présidente de la Fed, la banque centrale fédérale décidant à nouveau de rester l’arme au pied. Elle n’est pas la seule à observer l’attitude des autres grandes banques centrales. L’attentisme prévaut et ne peut être imputé aux seules incertitudes britanniques, car elles se rajoutent les unes aux autres.
La BCE rattrape son retard initial sur ses consœurs et les quatre principales banques centrales – la chinoise faisant bande à part – soupèsent toutes leurs marges de manœuvre respectives face à une situation insatisfaisante. Que peuvent-elles faire ? C’est dans ce contexte que de nouvelles propositions iconoclastes sont apparues – l’Helicopter Money et les titres de dette perpétuels sans intérêt – afin de repousser les limites du possible. Comme s’il ne fallait pas attendre des États et des gouvernements qu’ils jouent le rôle qui leur est imparti.
Une grande confusion règne sur ce qui les en empêche. Certains font état d’un blocage politique, pensant plus particulièrement à l’Europe sous leadership allemand. Mais l’incapacité dans laquelle le FMI ou l’OCDE se révèlent être de définir les mesures à appliquer, se contentant de l’énoncé répétitif d’un vague cocktail de celles-ci, illustre mieux ce qui en est la cause commune. Comment remédier à une faible croissance qui semble s’être installée si l’on n’en connait pas la raison ? À quoi faut-il donc l’attribuer ?
On entend ici déplorer le faible impact des nouvelles technologies sur la productivité, et là celui des rigidités du marché du travail ou encore du vieillissement de la population. Mais peu le développement des inégalités, et encore moins le coup d’arrêt porté au modèle hier triomphant de mondialisation. Il a fallu attendre le Forum de Davos de 2014 pour que celui-ci classe la disparité grandissante des revenus au « deuxième rang des risques les plus graves pour la stabilité sociale et pour la sécurité de la planète ». Puis le Forum de cette année pour reconnaître que « l’inégalité est l’une des principales menaces pour le bien-être économique et on doit s’y attaquer. » On attend depuis les mesures de cette offensive qui tarde, dans le cadre de « la maitrise de la 4ème révolution industrielle » qui était le thème central du dernier Forum.
Beaucoup de promesses sont faites à propos des nouvelles technologies, mais combien seront effectivement tenues ? Les progrès en Intelligence Artificielle sont reconnus, le potentiel de ses applications inventorié mais leurs limites pourront être tracées lorsque surviendront les mises en cause dont elles sont porteuses. Dans l’un des domaines où leurs applications prolifèrent – les activités financières – la technologie de la Blockchain suscite à la fois un fort intérêt et une réelle appréhension. Il y a de quoi, car si elle est susceptible de réduire les coûts, sa logique ultime est de supprimer les tiers de confiance. De quoi inquiéter les acteurs de la finance, les banques au premier rang.
Un nouveau départ de la mondialisation sur d’autres bases est-il possible et comment ? Avant que son coup d’arrêt n’intervienne, celle-ci reposait sur l’accroissement des échanges commerciaux internationaux, mais les négociations destinées à abattre les dernières barrières à ceux-ci ont échoué. L’instauration de « partenariats de commerce et d’investissement » a pris le relais. Le premier a été signé en Asie avec les États-Unis, le second est en cours d’adoption entre le Canada et l’Europe, mais le dernier entre celle-ci et les États-Unis est bloqué. Les traités ont été façonnés afin de répondre aux besoins des transnationales et de consacrer leur suprématie sur les États par le biais de la justice d’arbitrage, mais l’opération a rencontré des obstacles imprévus en Europe, bien qu’elle ait été menée dans la plus grande discrétion afin de créer un fait accompli.
Une nouvelle donne repose sur une profonde réorientation de l’économie des pays émergents, afin que ceux-ci retrouvent de la croissance en changeant de point d’appui et en misant sur le développement de leurs marchés intérieurs. Deuxième puissance mondiale, la Chine est dans ce cas, mais l’on observe les grandes difficultés qu’elle rencontre à réaliser une transition pourtant prise pour acquise. Dans celui du Brésil, on mesure le tournant à 180 degrés que cela implique pour l’appareil productif ainsi que ses conséquences pour la société brésilienne, alors que le pays est entré dans une crise de régime prolongée. Dans les deux cas, le changement de programme va nécessiter bien plus de temps que prévu.