LES MERS DE LA HONTE, par François Leclerc

Billet invité.

Les autocrates ont toujours raison et le président turc ne faillit pas à ce principe. La condamnation du génocide arménien par le Bundestag n’a pour lui « aucune valeur », sa manière à lui de reconnaître sans le dire qu’elle ne remet pas en cause l’accord avec l’Union européenne concernant les réfugiés. Le mauvais feuilleton continue, mais la situation de ceux-ci ne fait qu’empirer.

En premier lieu en Syrie, où ils sont catalogués comme des « déplacés ». Selon le Haut commissariat aux réfugiés (HCR), 165.000 d’entre eux ont fui les combats qui font rage dans la province d’Alep et campent comme ils peuvent autour de la ville d’Azas, coincés face à la frontière avec la Turquie qui leur est fermée. Médecins sans frontières réclame l’ouverture de celle-ci.

Les 2,7 millions de Syriens qui ont réussi à gagner la Turquie ont acquis le qualificatif de réfugiés, sans que cela ait beaucoup d’incidence sur leur sort, sauf pour les 260.000 qui sont dans des camps. Selon Amnesty international, « les demandeurs d’asile ne reçoivent pas, ou quasiment pas d’aide pour trouver un abri et de quoi vivre pour eux-mêmes et pour leurs proches, ce qui amène des enfants n’ayant parfois pas plus de neuf ans à travailler pour aider leur famille ». Les autorités turques ne respectent pas « les trois conditions essentielles requises » par le droit international : un statut, des solutions durables et des moyens de subsistance. Elles ont indiqué en avril avoir traité seulement 4.000 demandes d’asile, ce qui représente 4 % des 266.000 demandes enregistrées par le HCR en 2015. Pour toutes ces raisons, Amnesty international juge l’accord signé par l’Union européenne « illégal et scandaleux ».

En Grèce, et en particulier dans les îles, la situation se détériore. Environ 8.500 réfugiés y sont bloqués, plus que les capacités d’accueil, dans l’attente que leur demande d’asile soit examinée. Dans un climat fait de désespoir, des rixes entre eux sont intervenues, des tentatives de suicide y sont régulièrement signalées, des grèves de la famine y sont menées et des cas de délinquance apparaissent. Les conditions d’hygiène et la qualité de la nourriture sont insatisfaisantes.

Seuls 411 réfugiés, en majorité des Pakistanais, ont été renvoyés en Turquie. Les cas des demandeurs d’asile – la plupart des réfugiés arrivés depuis la date couperet du 20 mars l’ont demandé – sont examinés un par un, les autorités grecques refusant de les renvoyer en bloc. Mais la moitié seulement des 800 renforts en experts et interprètes promis sont arrivés, ce qui ralentit les formalités.

La traversée de la Méditerranée continue d’être aussi meurtrière. Afin de contourner les forces navales de l’OTAN qui patrouillent entre les côtés turques et les îles grecques, d’autres voies sont recherchées plus au sud, au large de la Crète. Des bateaux sur lesquels s’entassent des centaines de réfugiés sont utilisés et les naufrages font de très nombreuses victimes lorsqu’ils interviennent. Cela a été hier le cas d’une embarcation transportant environ 700 réfugiés, qui avait à moitié coulé lorsque les secours sont arrivés. Des centaines d’hommes, femmes et enfants pourraient s’être noyés.

Depuis le début de l’année, 46.714 réfugiés venant pour l’essentiel d’entre eux d’Afrique subsaharienne via la Libye ont été fin mai enregistrés en Italie par le HCR. A la même date, 2.119 réfugiés, qui généralement ne savent pas nager, ont trouvé la mort par noyade. Très active, l’ONG allemande Sea-Watch, estime que « seul l’établissement de nouveaux systèmes assurant des entrées légales et en sécurité dans l’Union européenne peut finalement conduire à en finir avec cette tragédie humanitaire ». On n’ose même plus parler de corridors humanitaires dans le contexte actuel, tellement cette préoccupation élémentaire semble avoir disparu dans l’esprit des gouvernants, les ONG issues de la société civile ayant pris le relais comme elles peuvent.

Le président italien Sergio Mattarela s’est rendu sur l’île de Lampedusa où arrivent de très nombreux réfugiés pour y déclarer : « L’Italie et l’Europe ont une dette de reconnaissance à Lampedusa pour les vies sauvées, pour l’accueil accordé à qui fuit la faim et la guerre ». Il s’y révèle « le visage le meilleur de l’Europe », a-t-il ajouté en remerciant les habitants de l’île.