LE DERNIER RESSORT DES BANQUES CENTRALES, par François Leclerc

Billet invité.

Les banques centrales ne sont pas exemptes de tout reproche, il s’en faut. Leurs oreilles sifflent, à force d’être critiquées pour en faire trop ou au contraire pas assez. Mais ces derniers temps, une mise en garde d’un nouveau genre leur est adressée : elles prendraient le risque d’épuiser toutes leurs munitions et de se retrouver démunies lors de la prochaine alerte.

Autant dire que l’ambiance n’est pas franchement à l’optimisme, et ce ne sont pas les longues hésitations de la Fed, qui se contente de « laisser la porte ouverte » à une augmentation de ses taux, qui y contribuent. Les chiffres de l’inflation et du chômage aux États-Unis ne font pas la décision, autre signe que rien ne va plus comme avant si la banque centrale ne se fie plus à ses indicateurs de référence. Dans un tel climat, faute de critères établis, les analystes énumèrent tous les facteurs d’incertitude, qui ne manquent pas. Incorrigibles, ils évoquent de mystérieux cycles économiques, rassurants parce qu’ils suggèrent qu’après la pluie vient le beau temps, pour se demander si l’économie américaine ne serait pas arrivée en bout de cycle, c’est à dire vers le bas de celui-ci. Après la Chine, les États-Unis ne seraient plus en mesure de tirer la croissance…

Comme un malheur n’arrive jamais seul, les mécanismes de la transmission monétaire ne fonctionneraient plus, laissant cette fois-ci les banques centrales non plus sans munitions mais avec des armes enrayées. Ce sont deux connaisseurs, les gouverneurs de la banque centrale de l’Inde et du Danemark, qui l’affirment. L’agence Bloomberg cite le danois Lars Rhode, qui est aux premières loges pour le constater, ayant été le premier à pénétrer dans les territoires inconnus des taux négatifs.

S’il a raison, les préceptes monétaristes qui ont depuis des décennies conduit le pilotage de l’économie par les banques centrales sont tout simplement à remiser. La conclusion doit s’imposer : la politique monétaire a permis pendant des décennies de contenir l’inflation, mais elle ne peut plus rien lorsqu’il faut au contraire la libérer et elle ne parvient au mieux qu’à contenir la déflation.

Bien sûr, remarque le gouverneur danois, tout cela pourra n’être plus tard qu’un mauvais souvenir, mais quand ? Il faut s’attendre à ce que cela prenne très longtemps si l’on observe ce que le marché anticipe, répond-il. Pourrait-on devancer l’appel en accroissant la stimulation monétaire, se demande-t-il encore ? Non, il ne le pense pas, estimant que l’efficacité marginale de la politique monétaire est vouée à diminuer. Raghuram Rajan, son collègue indien, n’est pas plus optimiste et conseille dans le Financial Times de ne pas attendre de forte croissance de nos économies âgées ainsi que de la faiblesse des taux qui est destinée à durer.

Afin de détromper ceux qui enterrent trop vite les banques centrales, certains sont partisans de leur confier une mission salvatrice de la dernière chance. L’argent pourrait descendre du ciel et favoriser la relance, larguée d’un Helicopter Money qu’elles feraient décoller. Ouf, tout le monde ne se résout pas à leur impuissance ! Mais quel serait le destin de l’argent ainsi jeté par les fenêtres ? Un tel acte ne serait-il pas vain, puisqu’il serait tentant de mettre celui-ci de côté, dans l’attente que le geste soit renouvelé, de crainte que cela ait une fin ? La création monétaire est décidément un miroir aux alouettes.