UN G7 FINANCES, HISTOIRE DE CAUSER…, par François Leclerc

Billet invité.

Les réunions mondiales se succèdent, entonnant tour à tour le même appel en faveur de la relance d’une croissance salvatrice. Le G7 Finance qui a commencé aujourd’hui ne va pas renouveler le genre, préludant au sommet des chefs d’État des 26 et 27 mai. Rien n’en est à attendre de particulier, mais il y aurait pourtant tant à dire.

Le secrétaire d’État au Trésor américain Jack Lew a souligné que les pays du G7 ont une responsabilité particulière à l’égard de la croissance, tout en constatant de manière quelque peu obscure que des « signes contradictoires » se manifestent. Sans doute fait-il référence à la Chine, dont l’endettement est source d’inquiétude marquée. Mais c’est le gouvernement canadien qui exprime le mieux la paralysie ambiante en se gardant de préconiser pour les autres la politique de relance active qu’il a engagé, chaque pays ayant ses problèmes spécifiques fait-il valoir en prenant l’exemple du Japon !

Des mises en garde ont également fleuri à propos de la tentation d’opérer une dévaluation compétitive, le gouvernement japonais étant particulièrement visé. On retiendra à ce propos la déclaration martiale du ministre français Michel Sapin, décidé à couper court à toute spéculation inopportune sur le sujet : « Dans un monde comme celui d’aujourd’hui, dans un G7 comme il existe avec les contacts que nous avons, il ne peut pas y avoir, il n’y a pas, il n’y aura pas de guerre des monnaies ». Comme si la décision des banques centrales d’adopter un taux négatif était un jeu innocent n’ayant rien à voir avec la parité de la monnaie…

Ces conclaves à répétition sont lassants, tandis que les tentatives européennes ou américaines de contrer l’érosion de la base fiscale annoncées à grand fracas sont trompeuses. Mesures de sauvegarde de gouvernements cherchant à récupérer des marges de manœuvre, elles surprennent par leur nouveauté mais ne vont pas jusqu’au bout de la démarche entreprise, laissant subsister des zones d’ombre capitales – c’est le cas de le dire – ne pouvant à ce titre prétendre qu’à des résultats mitigés. Cette volonté de revenir sur le laissez-faire qui s’était instauré est de même nature que la tardive révolte des actionnaires qui veulent contrôler l’inflation de la rémunération des managers qui se fait à leur détriment.

David Cameron a organisé un sommet anti-corruption à Londres, qui lui a donné l’occasion d’annoncer des mesures destinées à dévoiler l’identité des propriétaires immobiliers de la capitale du plus grand havre fiscal mondial : le Royaume-Uni et ses dépendances. Il s’est toutefois bien gardé de toucher à un autre havre, les Îles Caïmans, qui est toujours le refuge de prédilection des hedges funds. Selon le Département du Trésor des États-Unis, 265 milliards de dollars de titres obligataires américains y sont abrités, faisant de ce territoire britannique d’outre-mer de 60.000 habitants, le troisième détenteur mondial étranger de la dette américaine après la Chine et le Japon…

Avec la dette japonaise en Asie et l’italienne en Europe, la dette américaine est sur le podium. Le Congressional Budget Office (CBO) américain vient de publier des projections de la dette publique du pays à l’horizon 2040. Selon le scénario retenu, celle-ci devrait atteindre entre 131% et 167% du PIB, les dépenses devant passer de 20% à 27% du PIB dans les vingt ans à venir, ce ratio ayant été longtemps stable. Les contenir est difficile à simplement imaginer. La crise financière en cours a donné un coup d’accélérateur à la croissance naturelle de la dette publique. Dans le cas de l’Espagne, elle a ainsi triplé depuis 2007, venant d’atteindre les 100% du PIB, ce ratio absurde qui continue à faire référence.

Si les réunions internationales se focalisent tant sur le retour de la croissance, ou bien sur la lutte contre l’érosion fiscale, c’est dans l’espoir de limiter la progression de la dette publique des pays développés en accroissant les recettes, faute de pouvoir compter sur une croissance ou le retour d’une inflation qui arrangeraient bien les choses. Mais il est un dossier qui n’a pas encore été ouvert, sauf en Europe avec le succès que l’on sait étant donné le remède imposé, car c’est le plus explosif : c’est précisément celui de la dette.

D’après le FMI, la dette des pays développés aurait augmenté de 92 à 106% du PIB, de 2009 à 2015. L’Allemagne ferait exception et les pays soumis aux mesures d’austérité seraient les plus forts contributeurs à cet accroissement, relativement à leur poids économique. Une question peut difficilement être éludée : une telle dette pourra-t-elle être un jour au moins stabilisée sinon remboursée ? Certes, de tels ratios ont déjà été dépassés, à l’occasion de la deuxième guerre mondiale où la dette britannique avait atteint 240% du PIB, pour ne pas remonter trop loin, mais cela a été suivi par une période de croissance et d’inflation soutenues. Nous n’en sommes plus là et, faute de la reproduction de ce contexte, la dette publique va globalement continuer à croître. C’est aussi le cas de la dette privée, à ne pas oublier !

À terme plus ou moins rapproché, comment échapper à sa réduction ordonnée et globale, quelle que soit la complexité de l’exercice ? S’il continue d’en être fait un tabou, le danger d’une nouvelle crise qui en résulterait, agité comme un repoussoir, n’est pas sans rapport avec la remise à plat du système financier qu’une opération de cette nature imposera. La perspective n’est pas réjouissante pour les nantis, mais faut-il s’en chagriner ?

Une telle approche n’est évoquée qu’à mots couverts, quand c’est le cas. En attendant, les gouvernements profitent des taux obligataires négatifs, qui représentent environ un quart du marché de la dette. Ils adoptent aussi comme politique d’emprunter de plus en plus à long terme afin d’étaler les coûts de remboursement. La France, la Belgique et l’Espagne y sont déjà engagées avec des émissions à cinquante ans, et l’Italie s’apprête à faire de même. Mais ce n’est qu’un pis-aller. Et la banque Morgan Stanley, qui s’est penchée sur la question et voit plus loin que le bout de son nez, propose de nouveaux mécanismes liant le remboursement des titres obligataires à la croissance du PIB (1) ou faisant appel à l’émission de dette perpétuelle, dont seuls les intérêts sont payés. Mais cela ne règlera pas le problème posé par le stock de la dette existante, tant que ses titres ne seront pas arrivés à maturité et qu’elle ne sera pas éteinte dans sa configuration actuelle.

Une toute autre manière de poser le problème peut être envisagée. Sachant qu’il est vital de réduire un volume des actifs financiers qui ne cesse de progresser, en raison du danger qu’il représente en soi, la mise à plat du système financier que suppose la réduction de la dette serait un excellent moyen de séparer les actifs ayant un rôle socialement nécessaire, des autres à qui il serait donné un traitement adéquat.

Un Ange passe…

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(1) Cela rappelle la proposition de départ de Yanis Varoufakis, lors de son passage à Londres, qui visait à contourner le tabou de la restructuration de la dette grecque.