L’EUROPE N'EST PAS VIABLE SOUS LEURS CONDITIONS, par François Leclerc

Billet invité.

Le FMI ne s’étant pas encore exprimé publiquement, les autorités européennes et grecques se sont toutes deux déclarées satisfaites des décisions de la réunion d’hier de l’Eurogroupe, bien que la principale d’entre elles a consisté à repousser les questions les plus épineuses à la prochaine réunion du 24 mai.

Christine Lagarde ayant auparavant mis les pieds dans le plat, les considérations générales finalement émises à propos du reprofilage de la dette grecque conduiront-elles le FMI à rester membre du club des créanciers ? On notera dans l’immédiat que l’essentiel de ce qui pourra être décidé à propos de la dette n’entrera pas en vigueur avant la fin de l’actuel troisième plan de sauvetage, en 2018, et que la suite qui y sera donnée sera conditionnée à un respect de l’objectif d’excédent budgétaire qui n’est pas garanti. Par ailleurs, les mesures conditionnelles qui devront être appliquées par le gouvernement grec si ce dernier n’atteint pas cet objectif, n’ont toujours pas été adoptées. Il n’y a pas de quoi pavoiser, et c’est valable pour tout le monde.

Après l’Italie, la situation d’un second pays est à son tour devenue problématique. La Commission va-t-elle ou non sanctionner l’Espagne dont le déficit budgétaire est en dehors des clous ? La question ne semble pas être encore tranchée, mais a son importance. Mariano Rajoy a écrit à Jean-Claude Juncker pour défendre ses résultats afin de tenter de l’éviter. Des sanctions, qui ne seraient de toute façon annoncées qu’après les élections de juin prochain, aviveraient les antagonismes. José Manuel Garcia-Margallo, le ministre des affaires étrangères espagnol, en a donné un avant-goût en suggérant que l’eurozone consulte d’urgence le docteur en raison de son faible taux de croissance, ajoutant que « beaucoup de pays, pas seulement l’Espagne » demandent une refonte des règles fiscales et souhaitent que l’Allemagne contribue davantage à la croissance.

Nouvelle manifestation de la crise politique qui traverse l’Europe, l’extrême-droite autrichienne se prépare à remporter les élections présidentielles et peut espérer lors des législatives à venir faire un score la conduisant au gouvernement. Les dirigeants de la grande coalition allemande n’en sont pas là, mais ils connaissent une érosion électorale préoccupante, résultat de la poussée de l’AfD. Celle-ci atteint le SPD mais également la CDU/CSU. Si cette tendance se poursuivait, ces partis finiront par ne plus disposer ensemble de majorité parlementaire et devront rechercher une nouvelle formule gouvernementale, un véritable séisme en Allemagne.

La lente descente des partis sociaux-démocrates se poursuit en Autriche et en Allemagne, en attendant de connaître le résultat des prochaines élections françaises qui vont confirmer la tendance. Afin de tenter de rebondir et de sauver les meubles, François Hollande aurait un plan que le quotidien espagnol El Pais a dévoilé. Il préparerait un projet de renforcement de l’Europe, qui serait annoncé après le référendum britannique pour ne pas le perturber. Outre l’Allemagne et la France, un nouveau coeur de l’Europe pourrait regrouper le Benelux, l’Espagne, l’Italie et le Portugal. Un gouvernement économique et un parlement de l’eurozone seraient constitués, les accords de coopération militaires existants renforcés, et un budget d’investissement commun crée. D’après le quotidien espagnol, l’Allemagne serait d’accord avec ce plan dans ses grandes lignes, une affirmation qui reste à confirmer.

Ce projet est cependant révélateur : prises dans leur ensemble ou séparément, les autorités européennes sont incapables de traiter dans la clarté les questions faisant désormais débat. Car elles sont incapables d’énoncer une politique alternative à celle qui est de plus en plus ouvertement contesté, se contentant de procéder par ajustements contraints.

La palme de l’impuissance revient à Sigmar Gabriel, leader du SPD allemand et ministre de l’économie du gouvernement de grande coalition. Préparant la reconduction de celle-ci, faute de mieux, il se contente d’y mettre comme seule condition la suppression d’une taxe oubliée dont personne en Allemagne ne parle plus. Ayant pourtant exprimé son désaccord à propos de la politique poursuivie vis à vis de la Grèce, rejoignant en cela la position du FMI, il n’en tire aucune conséquence.

À leurs conditions, l’Europe n’est pas viable.