Billet invité.
Afin d’éviter à l’Europe de supporter la charge écrasante des réfugiés, un modèle a été trouvé avec la Turquie, qu’il est tenté de répliquer avec la Libye. Le plan n’est pas compliqué : la flotte de l’OTAN va à nouveau être mise à contribution afin que les réfugiés clandestins soient renvoyés d’où ils embarquent. Enfin, une solution pratique a été trouvée afin de remédier au vice de Schengen : ce n’est plus le pays d’entrée qui doit accomplir les formalités d’asile, mais celui de départ, le tour est joué. Et l’asile, garanti à un réfugié à la condition qu’une place soit disponible, devient un droit soumis à quota.
Vendredi dernier, à Rome, le vice-président libyen Ahmed Maetig a sans attendre proposé que l’Union européenne négocie avec la Libye un accord sur le modèle de celui conclu avec la Turquie. Roberta Pinotti, la ministre italienne de la défense, de son côté n’y a pas été par Quatre Chemins : « Au niveau de l’Otan, nous avons demandé à ce que l’opération Active Endeavour soit transformée, d’une opération anti-terroriste en Méditerranée orientale en une opération qui englobe les côtes libyennes ». Elle n’en a pas précisé la nature. Tout cela, la lutte anti-terroriste, les actions contre les passeurs criminels et le refoulement des réfugiés qui n’ont plus rien à perdre serait-il du pareil au même ?
Le mandat de Sophia – l’opération navale de l’Union européenne mise sur pied l’année dernière – va parallèlement être élargie afin que ses navires puissent pénétrer dans les eaux territoriales libyennes, dès que le nouveau gouvernement sera en mesure de l’autoriser, ce qui permettra de refouler les réfugiés interceptés au lieu de les acheminer en Italie comme actuellement.
Lundi dernier, à Hanovre, la situation en Libye était à l’ordre du jour de la rencontre de Barack Obama avec Angela Merkel, David Cameron, François Hollande et Matteo Renzi. Dans ces conditions, l’alliance Atlantique devrait adopter sans problème le nouveau déploiement de sa force navale, lors de son sommet de juillet prochain à Varsovie. Jens Stoltenberg, son secrétaire général, a déjà confirmé que l’OTAN resterait en mer Egée « aussi longtemps que nécessaire ». L’organisation du traité de l’Atlantique Nord s’est trouvé une nouvelle mission un peu inattendue : protéger l’Europe des réfugiés qui y cherchent asile.
Le dispositif adopté donne toutefois quelques soucis en Turquie, en dépit de la déclaration du président du Conseil européen, Donald Tusk. A l’occasion d’une conférence de presse tenue conjointement avec Angela Merkel, suite à la visite d’un camp de réfugiés modèle en Turquie, celui-ci a déclaré à son propos qu’elle « est le meilleur exemple, pour le monde, de la manière dont nous devrions traiter les réfugiés », prenant le risque que ses propos lui soient plus tard rappelés.
Une des questions et non des moindres reste cependant à clarifier, car elle pourrait aboutir à la condamnation en justice de l’accord passé avec la Turquie. Des assurances concernant l’accès aux procédures d’asile des Syriens ont bien été donnés par le gouvernement turc, mais que va-t-il en être pour les non-Syriens renvoyés de Grèce en Turquie ? On constate déjà que la frontière avec l’Irak ne se passe plus comme avant, et que celle avec la Syrie est fermée, empêchant dans les deux cas les réfugiés de pénétrer en Turquie pour y demander l’asile. Et que ce pays soit en guerre contre les Kurdes, à l’est comme au sud, ne fait pas obstacle à le qualifier de sûr pour les besoins de la cause.
Un autre sujet tout aussi épineux n’est pas réglé. Le premier ministre turc Ahmet Davutoglu a fait savoir que « la question de l’exemption de visa est vitale pour la Turquie », et que étant « une promesse du gouvernement à son peuple », elle doit être réglée pour la fin juin, faute de quoi il se retirerait de l’accord avec les Européens. Ce serait, si on le comprend bien, faire injure au gouvernement, et par voie de conséquence au président. L’affaire est donc d’importance. Mais seuls 19 des 72 critères permettant de l’accorder étaient aux dernières nouvelles remplis, selon le pointage de la Commission… Il y a encore beaucoup de travail à accomplir, pour reprendre son expression favorite quand elle exhorte les dirigeants des pays malmenés à être « courageux », c’est à dire à imposer aux leurs sacrifices sur sacrifices.
On mentionnera enfin, pour mémoire, les interventions péremptoires du gouvernement turc dans des pays européens dont la liste s’allonge. Pour exiger ici la suppression d’une photographie d’une exposition, là la condamnation d’un humoriste, à chaque fois pour injure au très susceptible chef de l’État turc. Les hautes autorités de l’Union européenne se sont mis dans de sales draps et n’ont plus d’autre choix que de l’assumer. Va-t-on les plaindre ?