Billet invité.
Les négociations ont repris à Athènes, avec pour enjeu de libérer un nouveau versement des créanciers européens de la Grèce d’ici à la mi-juillet, afin que le gouvernement puisse rembourser la BCE. Non sans confusion, la partie se joue désormais à trois depuis l’apparition au grand jour de désaccords entre les autorités européennes et le FMI. La promesse longtemps différée d’ouverture de négociations à propos de la dette sera enfin tenue si l’accord qui est visé la semaine prochaine par le président de l’Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem se concrétise, mais « un dernier pas reste à franchir » a reconnu Pierre Moscovici.
Un important désaccord sur les retraites subsiste encore, ainsi qu’à propos du mécanisme inventé par les créanciers pour résorber leurs divergences : l’engagement grec d’adopter un paquet de nouvelles mesures d’austérité, si un excédent budgétaire primaire de 3,5% n’était pas dégagé en 2018. De cela, le gouvernement grec ne veut pas en entendre parler.
Dans l’immédiat un cessez-le-feu est recherché afin d’arrêter les batailles de chiffres des uns et des autres, dont l’expérience a montré l’inanité. Bravant le ridicule, Christine Lagarde a déclaré qu’il faut les vérifier « très soigneusement » avant de conclure un accord – sous-entendu : « vous prenez vos responsabilités ! » – et Wolfgang Schäuble insiste sur le fait que ce ne sont pas des chiffres grecs, mais qu’ils sont « confirmés par les institutions européennes »…
Les divergences sont plus profondes et ont une autre portée politique : sous quelles conditions faut-il maintenir la Grèce à flot et masquer qu’elle ne peut pas sortir du trou dans lequel elle a été poussée ? À terme, peut-on ou non considérer que la question de la dette est réglée ?
Wolfgang Schäuble a estimé que « les choses n’étaient pas mal parties » et que « si tout le monde fait des efforts, on va trouver une solution dans un avenir proche ». D’où vient ce revirement ? Les créanciers ont dû sans exception se faire une raison. Vu le rôle de tampon auquel le pays a été contraint par la crise des réfugiés, plus question de l’asphyxier. C’est pourquoi le ministre allemand des finances a changé son fusil d’épaule et ne préconise plus comme lors de la précédente passe d’armes, la sortie provisoire de la Grèce de la zone euro. La simultanéité de celle-ci avec un Brexit (sortie britannique de l’Union européenne), s’il devait intervenir, serait particulièrement malvenue.
Les débats ne portent pas seulement sur les prévisions de réalisation d’excédent budgétaire à court terme – fruit de mesures d’austérité faisant l’objet de discussions acharnées – mais également sur la soutenabilité de la dette grecque en général. Alexis Tsipras a besoin du démarrage des discussions sur son allégement, afin de justifier les pilules qu’il doit continuer à faire avaler, et de faire passer celles qui vont être prochainement à adopter. Il ne faut pas attendre de résultats rapides et surtout probants des discussions sur la dette : seuls des allongements de maturité et des diminutions des taux sont envisagés, à l’exclusion de toute réduction nette. Au nom des 19 membres de la zone euro, Jeroen Dijsselbloem a été clair à ce propos. Le FMI qui parlait de réduction a donc mis de l’eau dans son vin, toujours pour les mêmes raisons politiques impliquant de ne pas faire de vagues !
L’impact de ce qui pourra être décidé sera nécessairement réduit, étant donné l’étalement des remboursements déjà adopté et les faibles taux consentis. En particulier, les remboursements qui doivent intervenir dans les cinq prochaines années le sont au profit du FMI, et ne peuvent pas être retardés au-delà de dix ans en raison des règles du Fonds. Les remboursements du Mécanisme européen de stabilité sont quant à eux plus tardivement prévus à partir de 2023.
Confrontés à d’autres sérieux problèmes, les autorités européennes pourraient se satisfaire d’une solution laissant la Grèce tout juste le nez hors de l’eau, afin de voir venir. La crise des réfugiés est loin d’être finie et l’impact d’un éventuel Brexit difficile à cerner ne sont pas seuls en cause. La poursuite pure et dure de la politique de réduction des déficits budgétaires l’est également. C’est particulièrement flagrant en Espagne, et affleure au Portugal et en Italie. La fragilité du système bancaire demeure de surcroit, en particulier de l’italien et du portugais. Enfin, la crise politique européenne se poursuit, avec comme traduction la plus spectaculaire à ce jour, la gestion de l’Espagne par un gouvernement chargé des affaires courantes, situation provisoire qui pourrait bien s’éterniser.
En Allemagne, Jens Weidmann de la Bundesbank et Angela Merkel semblent avoir fait équipe pour calmer le jeu vis à vis de la BCE, mais l’opposition entre leurs politiques demeure et ne va pas être résorbée. Au-delà de la question des taux négatifs, Mario Draghi est favorable à demi-mots à une politique de relance des investissements. Ne pouvant être trop explicite, il s’en tient à la sempiternelle référence aux réformes structurelles mais il voudrait que le relais gouvernemental qu’il appelle régulièrement de ses vœux aille plus loin.
Illustrant combien la situation est mouvante, des scénarios circulent qui prévoient une reconfiguration du noyau dur de l’Europe, en cas de Brexit. Son intégration serait approfondie et les pays périphériques n’en feraient pas partie. En Italie, des voix s’élèvent même, de crainte d’en être exclu. Ce n’est encore qu’une hypothèse de travail, mais la Grèce pèse de peu de poids dans tout cela, et son cas doit être provisoirement réglé pour passer à plus décisif.