Billet invité.
Comment contenir hors d’Europe les masses de réfugiés qui continuent à y chercher refuge ? Le brutal coup d’arrêt porté à l’exode des Syriens, des Irakiens et des Afghans qui en ont constitué les gros bataillons ne clôt pas la crise et laisse la question sans réponse.
Répartir ceux qui obtiendront l’asile, ce processus à peine commencé, reste à se concrétiser. Cela impliquera d’augmenter le plafond de 160.000 réfugiés qui a déjà été décidé, à moins de refuser massivement l’asile. Les dirigeants européens, Angela Merkel en premier lieu, sont désormais dépendants de la bonne volonté de Recep Tayyip Erdoğan, qui peut difficilement passer pour un démocrate et un partisan des droits de l’Homme, le Parlement européen s’étant déclaré aujourd’hui « vivement préoccupé » par le recul de l’État de droit en Turquie. Et la Grèce va devoir se dépêtrer en première ligne, recevant actuellement plus de réfugiés qu’elle n’en renvoie en Turquie. Des affrontements sporadiques se poursuivent à Idomeni, et la tension peut vite s’accroître dans les îles ou sur le port du Pirée.
La Route des Balkans est fermée, mais la frontière macédonienne reste sous la pression des 11.000 réfugiés qui y campent. L’ouverture d’une nouvelle route vers l’Italie depuis le nord de la Grèce et de l’Albanie est redoutée, et des moyens ont été déployés pour l’empêcher. À toutes fins utiles, le gouvernement français avait pris les devants il y a un an, en instaurant un contrôle à Vintimille, son homologue autrichien en fait actuellement autant au col de Brenner, principal point de passage entre l’Italie et l’Autriche. Le cloisonnement de l’espace Schengen se poursuit et la Commission publie un communiqué de protestation.
Dans l’immobilisme ambiant, le gouvernement portugais a proposé de dépasser son quota de réfugiés et Ada Colau, la maire de Barcelone, a demandé à la Commission de laisser sa ville accueillir des réfugiés, pour lesquels tout est prêt. « La population a envie de faire partie de la solution en participant au réseau des villes de refuge », avait-elle insisté à l’occasion d’une réunion où participaient également les représentants de Paris, Berlin et Amsterdam. Mais la Commission a d’autres priorités, affutant sous forme de deux propositions au choix, le projet de réforme de l’accord de Dublin qui a présidé à la constitution de l’espace Schengen.
Qualifiée de « Dublin Plus » et fort peu novatrice, la première garde le système de demande d’asile dans le pays de première entrée et instaure une porte de secours en cas de flux migratoire massif : un mécanisme de « relocalisation » et de répartition, sur le mode de celui qui a été négocié mais à peine appliqué. Plus avancée, la deuxième consiste à créer un système permanent de distribution des demandes d’asile, selon une clé de répartition prenant en compte le PIB et la « capacité d’absorption » de chaque État membre, ce dernier critère ouvrant la porte à toutes les négociations. Les deux options ont en commun de ne pas apporter de réponse à une seule interrogation : comment faire face à un exode de cette ampleur qui n’est pas prêt de s’épuiser ?
En ce début d’année, 25.816 réfugiés ont traversé la Méditerranée depuis la Libye pour atteindre l’Italie, dont de nombreux secourus en mer. C’est 7.000 de plus qu’à la même date de l’an dernier. 154.000 réfugiés y étaient parvenus sur l’année entière. Les estimations du nombre de réfugiés qui pourraient suivre cet exemple varient, mais l’on sait que la Libye, riche de son pétrole, était un pays d’immigration avant de sombrer dans le chaos actuel. 106.000 demandeurs d’asile sont déjà hébergés en Italie, où les structures d’accueil sont saturées, 15.000 places sont recherchées en urgence : la Grèce n’est pas seule à payer pour ceux qui s’en lavent les mains.
Samedi prochain, le pape et son homologue de l’église orthodoxe se rendront à Lesbos pour y rencontrer les réfugiés détenus au camp de Moria. Un déjeuner est prévu avec une poignée d’entre eux. Se défendant par avance de toute portée politique à son geste humanitaire, ses louables intentions ne pouvant être mises en doute, va-t-il être la bonne ou la mauvaise conscience des dirigeants européens ?