LES BANQUES, PLANCHES DE SALUT OU PLANCHES POURRIES ?, par François Leclerc

Billet invité.

C’est le printemps, les projets de plans de sauvetage des banques fleurissent ! Le gouvernement italien tient enfin un projet complexe à plusieurs étages, dénommé Atlante, qui est destiné à assainir son système bancaire, l’étape préalable à toute reconfiguration. Reste à obtenir l’accord de la Commission, étant donné que les finances publiques sont mises à contribution dans un montage qui prévoit la titrisation des prêts non performants (NPL) que personne ne veut acheter, bien qu’ils aient été dépréciés d’environ 45% par les banques qui les détiennent.

Un véhicule financé par les banques, les assureurs et les fonds d’investissement – ainsi que par des fonds publics – va donc intervenir pour éponger les pertes. Il y avait urgence, en raison de la situation dans laquelle la première banque italienne, Unicredit, s’était fourvoyée. En charge selon la formule de la syndication, de la souscription d’une levée de fonds de 1,8 milliards d’euros de Banca Popolare di Vincenza qui n’avait pas abouti, il ne lui restait plus qu’à y contribuer ! Ce qui pouvait la mettre à son tour en difficulté et en dit long sur l’état de l’ensemble du système bancaire.

Il n’était pas possible pour le gouvernement de procéder à un bail in, ainsi que l’exige dorénavant la réglementation européenne, car cela atteindrait comme l’année dernière les petits investisseurs et aurait d’importantes conséquences politiques. Les marges de manœuvre gouvernementales étaient donc très étroites et il a fallu faire preuve d’une grande créativité, dans l’attente de la suite.

L’objectif est qu’avec une aide publique mesurée, l’ensemble du système bancaire puisse digérer les pertes en les répartissant le plus possible. Précurseurs, les Espagnols avaient déjà ouvert le chemin en 2012 en créant la Sareb, une bad bank, avant de jouer au deuxième tour du Monopoly bancaire. On attend là aussi de voir la suite ! En Italie, il a fallu tout ce temps pour que la situation se décante à son tour, après avoir été longuement masquée. Et le pli est pris, Antonio Costa voudrait faire de même suite à la visite de Mario Draghi à Lisbonne, mais il s’est heurté au refus du Bloc de Gauche et du parti communiste qui soutiennent son gouvernement minoritaire. Avec en arrière-plan la mainmise grandissante des grandes banques espagnoles sur les portugaises.

Nous ne sommes plus aux lendemains de la crise aigüe de 2008, lorsqu’il est apparu que les actifs toxiques américains issus des subprimes avaient été disséminés dans le système bancaire européen. Aujourd’hui, les bilans des banques européennes sont encombrés, et parfois débordent quand elles ne les font plus rouler, de prêts toxiques qui résultent d’années de politique récessive et dont il faut bien faire quelque chose. En Italie où le problème est le plus aigu, ceux-ci représentent 360 milliards d’euros, soit 20% des actifs inscrits aux bilans bancaires : les banques du pays faisaient peser une sérieuse menace sur les banques européennes qui y sont exposées, et cela ne pouvait durer.

L’étape de la restructuration qui suivra aboutira à la concentration de nombreuses petites banques, par fusion ou bien achat. Elle permettra aussi de réformer des structures qui ont fait leur temps, comme ces fondations propriétaires des banques, à commencer par la fameuse Monte dei Paschi di Siena, la plus ancienne banque au monde en activité dont le sauvetage se poursuit. La question délicate étant de savoir si, en Italie comme ailleurs, les liens incestueux de ces banques avec les dirigeants politiques seront ou non préservés et comment… Mais la cause est entendue, le système bancaire européen en sortira plus concentré, à l’image de la France, et poursuivra ses relations incestueuses avec la dette publique, bloquant toute restructuration d’ensemble de celle-ci.

Avec l’instauration par la BCE d’un taux négatif, les dirigeants des banques ont leurs propres soucis, qu’ils ont fait valoir lors d’une conférence qui s’est tenue à guichets fermés, samedi dernier sur le Lac de Come, mais dont des échos sont sortis. « Par certains aspects, je suis beaucoup plus inquiet qu’en 2009 » y expliqué François Pérol, le PDG de la BPCE, dont la création a résulté de la fusion des Caisses d’Épargne et de la Banque populaire. En 2009, « ce que nous devions faire était clair à 100% », c’est aujourd’hui plus difficile en raison des « changements fondamentaux qui sont en cours dans notre environnement et qui résultent du défi que représentent les taux négatifs ».

On compatit à propos de la baisse des profits, non sans remarquer qu’un autre facteur fait obstacle aux activités de crédit. Une étude de la Banque des règlements internationaux (BRI) a passé en revue les dividendes cumulés distribués par 90 banques de la zone euro de 2007 à 2014 et établi que la part des bénéfices conservés par les banques se montait à 261 milliards d’euros, tandis que le cumul des dividendes versés atteignait 196 milliards d’euros. Cette disproportion a été en s’accroissant au fil des ans en Espagne, en France et en Italie. Les banques françaises ont quant à elles reversé 45 milliards d’euros sur la période à leurs actionnaires, ne conservant que 26 milliards de profits. Hyun Song Shin, le conseiller économique et directeur de la recherche à la BRI, conclut son étude en remarquant que cette répartition s’est faite au détriment de l’activité de crédit aux entreprises.

La BCE malmène les banques avec son taux négatif, mais la répartition de leurs profits est de leur fait. Cela renvoie à une autre question : suffirait-il d’assainir une fois pour toute – et comment – le système bancaire pour relancer le crédit et la croissance ? Cette idée qui ne va pas au fond du problème esquive la constatation que la demande n’est pas au rendez-vous et postule de manière passablement hasardeuse que quand les banques vont bien, tout va…