Billet invité.
Dans la chaîne des intervenants de la fraude fiscale si bien mise en valeur par les Panama papers, quel est le point faible sur lequel il faudrait immédiatement agir ? Les cabinets d’affaires marrons réfugiés dans les havres fiscaux hors de portée, ou les banques ayant pignon sur rue dans nos pays ?
Eva Joly ne s’est pas trompée de cible en réclamant que « les gouvernements européens poursuivent en justice les banques et les intermédiaires qui laissent leurs clients cacher leurs actifs dans des paradis fiscaux, sans informer les administrations fiscales des agissements suspects de citoyens européens ». Une trentaine de militants d’Attac non plus, qui ont symboliquement bloqué jeudi l’accès d’une agence parisienne de la Société Générale, en espérant susciter des émules, afin de dénoncer son « organisation industrielle de l’évasion fiscale » et exiger que les banques cessent toutes activité dans les havres fiscaux, sous peine non pas d’amende, mais de prison.
Le PDG de la banque régionale autrichienne Hypo Vorarlberg, mise en cause dans les Panama papers pour ses relations avec Gennadi Timcheko, un proche de Vladimir Poutine, a d’ailleurs décidé de prendre les devants en démissionnant tout en se refusant à reconnaître une infraction. Peut-on attendre de ses coreligionnaires une même attitude ? Selon les Panama Papers, plus de cinq cent banques ont aidé leurs clients à gérer des sociétés offshore, avec une forte suspicion de fraude fiscale. Ce sont autant de cibles privilégiées, à condition qu’il ne leur soit pas uniquement demandé, comme Michel Sapin s’adressant à la Société Générale, de fournir des explications permettant selon toute vraisemblance de noyer le poisson.
À ce sujet, on apprend que le Trésor américain s’apprêterait à adopter une règlementation exigeant des banques exerçant sur le territoire américain qu’elles connaissent l’identité des bénéficiaires des sociétés offshore avec lesquelles elles sont en relation, en application du principe « Know your customer » (connaissez votre client). Bien entendu, en cette matière comme en toute autre dès qu’il s’agit de réglementation financière, les détails seront décisifs.
Les déclarations définitives des autorités ont commencé et ne vont pas manquer dans les temps à venir, à l’occasion du G20 finances et des réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale. L’expérience a montré combien il fallait les prendre avec des pincettes, si l’on prend par exemple le cas de David Cameron, le Premier ministre du premier havre fiscal de la planète, à considérer la toile d’araignée formée par les reliquats de l’Empire britannique avec en son centre la City. Le cabinet Mossack et Fonseca, agissant en tant qu’intermédiaire, en a donné une saisissante illustration en créant 110.000 comptes bancaires sur le territoire des Îles Vierges, selon les Panama papers.
La City a les moyens de faire la loi. En novembre 2013, David Cameron est intervenu par courrier auprès du président du Conseil européen de l’époque, Herman Von Rompuy, afin d’empêcher que le mystère entourant les trusts, la grande spécialité de son pays, soit levé. La lettre est reproduite dans toute la presse britannique, alors que le Premier ministre se trouve sur la sellette, son père ayant échappé au fisc pendant trente ans en dirigeant un trust. Argument imparable employé dans ce courrier, que l’on retrouvait hier dans la piètre défense du cabinet Mossack et Fonseca, cela porterait atteinte à la vie privée ! L’anonymat garanti par les trusts jouerait également un rôle essentiel dans la bonne transmission des patrimoines par l’héritage, a fait valoir le Premier ministre, ce dont on ne peut pas douter. Sans surprise, David Cameron a eu gain de cause : la loi adoptée en 2015 par le Parlement européen a adopté une formulation ambiguë à propos des registres des propriétaires des trusts.
La question est revenue cette année sur le tapis, mais le gouvernement britannique – qui est avec l’Allemagne le seul pays de l’Union européenne à ne pas avoir une liste des havres fiscaux, et qui refuse toute liste européenne – résiste vaillamment. James Duddridge, le sous-secrétaire d’État aux affaires étrangères et au Commonwealth a déclaré fin février au Parlement britannique, à propos de la tenue de registres des propriétaires des entreprises enregistrées dans les territoires d’outre-mer et les dépendances de la couronne : « c’est la direction plutôt que le but ultime »…
It’s a Long Way to Tipperary…