Billet invité.
Les honorables professions de conducteur de taxi ou d’hôtelier sont-elles en passe d’être menacées, non pas encore par la robotisation mais par l’essor de l’économie collaborative, ce phénomène plus communément appelée uberisation ? Cela occupe les gazettes mais ne serait encore rien si des métiers plus établis comme notaire ou banquier ne l’étaient aussi, cette fois-ci par la technologie des Blockchains.
On en a déjà entendu parler avec la nouvelle monnaie numérique du bitcoin, son application phare. Mais la Blockchain recèle en elle bien d’autres disruptions dont l’ampleur dépendra de la capacité de résistance et de récupération de ceux qu’elle met potentiellement en question et dont elle menace les situations acquises. Mais en quoi peut-elle être révolutionnaire ? Tout simplement parce que cette nouvelle technologie, dont les esprits les plus aux aguets se demandent si elle n’est la nouvelle Big One, la killer application pour parler français, élimine le besoin des intermédiaires et s’appuie sur les relations pair à pair (peer to peer) qui ont le vent en poupe.
Chaque application de partage de la Blockchain intègre ses propres règles, ce qui supprime toute autorité centralisée. Toutes bénéficient de trois précieuses qualités : sécurité, rapidité et moindre coût. Ce serait presque trop beau, suscitant des méfiances qui feraient mieux de craindre les contre-feux des pouvoirs établis. Ceux-ci sont conscients qu’un nouveau monde est à conquérir et que les places sont à prendre sans tarder. Déjà, le danger de la forte concentration à laquelle les services d’Internet nous ont accoutumés pointe à l’horizon.
Aux États-Unis, le PDG de JPMorgan Chase, Jamie Dimon a averti ses pairs : « La Silicon Valley arrive ! ». L’industrie financière, les banques au premier rang, a vu surgir une cohorte de nouvelles start-ups aux dents longues. Des milliards de dollars financent l’innovation dans tous les domaines du fintech, la technologie appliquée à la finance. Goldman Sachs parle de 4,7 milliers de milliards de dollars, tandis que certaines applications sont déjà devenues de véritables business.
Pour commencer, elles ne montrent pas les dents aux banques, mais sait-on jamais ? « Nous sommes des constructeurs, pas des disrupteurs » clame le PDG de Ripple Labs, Chris Larsen, qui prétend seulement supprimer les intermédiaires lors des transferts financiers internationaux de banque à banque pour se mettre à leur service. Il est vrai que, par le volume des affaires qu’ils génèrent, des nouveaux services comme Lending Club – une société de finance participative de prêts entre particuliers – ne peuvent pas prétendre menacer les mastodontes de la finance, mais le ver est dans le fruit…
Les applications financières de la Blockchain sont potentiellement redoutables, car elles peuvent prétendre améliorer la qualité des services bancaires en diminuant leurs coûts. Dans le secteur du crédit, elles peuvent diminuer les risques en s’appuyant non plus sur le banal historique du crédit mais sur une analyse approfondie des données recueillies via les réseaux sociaux. Elles ont aussi pour avantage de ne pas être vulnérables aux prêts non performants, et de supprimer toute dépendance au différentiel de taux entre leurs crédits à moyen et long terme et leurs financements à court terme.
Les applications financières de la Blockchain sont profondément disruptives car elles suppriment l’intermédiation, le cœur du métier des banques, et qu’elles peuvent se substituer à elles pour tous les types de transaction sans qu’un tiers impartial soit nécessaire. Mais cela ne se limite pas à cela, la Blockchain est non seulement un instrument de payement très efficace, dont les applications peuvent prétendre se substituer au système bancaire, mais elles peuvent également remplacer celui-ci pour le crédit, ou bien encore se substituer aux chambres de compensation ! Le champ est large, le danger est grand.
Les banques américaines l’ont mesuré les premières. Les banques de Wall Street et les entrepreneurs de la Blockchain se sont réunis en juin dernier à l’initiative de l’hebdomadaire The Economist afin d’envisager les modes d’une collaboration. Si une révolution doit intervenir, autant en prendre la tête ! En France, la Caisse des dépôts et consignations a pris l’initiative d’une réunion de place, en décembre dernier, où se sont retrouvées toutes les grandes banques et compagnies d’assurance. Face aux concurrents américains qui ont pris de l’avance, il fallait réagir, car si ceux-ci devaient contrôler une part trop déterminante du nouveau business, il y aurait malaise.
Le discours tenu à cette occasion a été sans équivoque : « les applications concrètes de ces technologies représentent des opportunités mais aussi des menaces pour les métiers financiers, dans la mesure où elles permettent de se passer d’intermédiaire pour effectuer des transactions. Nous voulons distinguer ce qui relève du fantasme et ce qui relève du possible ».
Qu’en attendre ? Va-t-on leur rogner les ailes afin d’en circonscrire les effets, ou vont-t-elles contribuer à sortir du cadre ?