LES DIMENSIONS D’UNE CRISE DEVENUE SECONDE NATURE, par François Leclerc

Billet invité.

Comme attendu, la crise politique européenne s’est propagée en Irlande, où les deux partis frères ennemis, le Fine Gaël et Fianna Fail, sont au lendemain des élections placés devant la nécessité de s’allier s’ils veulent constituer une majorité parlementaire. Encore qu’à eux-deux, et pour la première fois, ils n’atteignent pas celle-ci en nombre de voix.


Ils ont dix jours devant eux pour parvenir à une solution et chacun d’entre eux essaye dans l’immédiat de se trouver des alliés dans le camp de l’Alliance des indépendants, un regroupement très disparate qui s’est constitué hors du jeu des partis. La montée en puissance des partis non gouvernementaux, dont le Sinn Fein et l’Alliance anti-austérité (AAA), ainsi des candidatures indépendantes bouleverse les jeux de pouvoir. Cela pourrait aboutir à la convocation de nouvelles élections, sans garantie que cela modifie substantiellement la donne.

Donné en exemple réussi de leur politique par des autorités européennes trop contentes d’elles-mêmes, le meilleur élève de l’Europe ne leur apporte pas que des satisfactions : la croissance n’est pas la panacée revendiquée quand ses fruits sont si inégalement partagés.

Une situation similaire se présente en Espagne, l’alternance du Partido popular et du PSOE au pouvoir n’étant plus qu’un souvenir, et des difficultés – qui semblent difficilement surmontables – font obstacle à la constitution d’une coalition majoritaire. Investi par le roi, Pedro Sanchez va se présenter devant les Cortes demain mercredi pour un premier tour, et vendredi pour le second. Mais on ne voit pas comment, en vertu d’une arithmétique qui joue contre lui, il pourrait réussir même le second de ces examens de passage, qui ne réclame qu’une majorité simple et non plus absolue. Après avoir conclu un accord avec Ciudadanos, le leader socialiste a cherché à diviser le camp emmené par Podemos et Pablo Iglesias, mais il n’y est pas parvenu.

Le délai de deux mois avant que ne s’impose la convocation de nouvelles élections n’ayant été encore que partiellement entamé, une solution de grande coalition pourrait-elle encore émerger ? Celle-ci supposerait que Mariano Rajoy soit écarté et que le Partido popular accepte de négocier un programme gouvernemental sur la base de l’accord conclu entre le PSOE et Ciudadanos. Une telle option, actuellement toute théorique, serait-elle praticable alors que la Commission réclame déjà une révision du projet de budget 2016 ? Ne donnerait-elle pas la partie trop belle à Podemos qui pourrait se présenter comme la seule opposition et chasser sur les terres électorales d’un PSOE fragilisé  ?

Vu sous l’angle économique, l’état de crise tend à devenir une seconde nature. Une nouvelle notion économique est apparue avec celle des « pays en passe de déflation ». L’Allemagne, la France et l’Italie – les trois principales puissances de la zone euro – en ont rejoint le club. Selon Eurostat, leurs indices des prix ont reculé en février et sont devenus négatifs sur un an. Le prix du pétrole y a contribué, mais l’inflation sous-jacente – qui l’exclut, ainsi que les produits alimentaires dont les prix sont volatiles, et ceux du tabac et des boissons alcoolisées qui sont taxés – a suivi le même mouvement. Elle est tombée à 0,7% en février après avoir évolué dans la fourchette 1,1-0,9% les mois précédents.

Un an après le démarrage du nouveau programme d’achat de titres de la BCE, les jeux sont faits. Il se confirme qu’elle ne peut au mieux qu’espérer contenir la déflation, et s’il est attendu d’elle de nouvelles mesures dès le 10 mars prochain, rien ne garantit qu’elles seront plus efficaces. L’économie européenne est sous soins palliatifs et va le rester. S’il est encore prématuré de parler de récession généralisée en Europe, il n’est pas interdit de constater que ses risques s’accroissent.

Avec la crise des réfugiés, on est entré encore dans une autre dimension. Selon le secrétaire d’État américain John Kerry, qui prend sa mesure et craint que l’Europe ne soit en train de basculer, elle est devenue « un défi mondial », « un test pour nous tous ». Ex ambassadeur des États-Unis en Irak et en Syrie, Ryan Crocker s’est manifesté en redoutant que « le flot des réfugiés défasse l’Union européenne en tant que construction politique », et devienne « un problème pour le monde et pour l’Amérique ». Les États en première ligne, Turquie, Jordanie et Liban, « risquant de chanceler ».