Billet invité.
Tandis que l’Autriche s’engage dans la sédition en réunissant les représentants de la Route des Balkans (sans y associer les Grecs) afin de conforter sa politique de fermeture, la crise politique poursuit en Espagne et en Irlande son inexorable progression.
Le compte à rebours de l’investiture d’un nouveau gouvernement est largement engagé en Espagne. Le premier vote doit intervenir aux Cortes le 3 mars prochain, ce qui laisse très peu de temps au leader du PSOE, Pedro Sanchez, pour conclure ses négociations et en faire avaliser l’issue – si elles sont concluantes – par les militants de base comme promis, puis par le comité de direction de son parti. Un accord qualifié de « régénération démocratique » en faveur d’un « gouvernement progressiste et réformiste » est hier intervenu avec Ciudadanos, aux termes duquel des réformes constitutionnelles d’ampleur devraient intervenir dans les trois mois, une fois le nouveau gouvernement dans ses meubles, afin de modifier les règles de la vie politique et de réformer la justice en contrepartie du vote de l’investiture. Parmi quelques 200 mesures, son texte contient l’engagement de limiter les hausses d’impôts, une réforme du droit du travail et un plan d’urgence sociale pour les défavorisés. Pedro Sanchez l’a présenté comme « un accord ouvert, qui n’exclut pas et qui tend la main à la gauche et à la droite ».
Il ne permet pas de constituer une majorité et renvoie aux négociations parallèles que mène le PSOE avec Podemos, dont les voix ou l’abstention sont indispensables pour obtenir celle-ci. À toutes fins utiles, ce dernier avait publié à la mi-février un programme de gouvernement complet de 98 pages, réaffirmant notamment le droit à l’autodétermination et proposant la création d’un « ministère de la plurinationalité, de l’administration publique et municipale ». Mais une coalition PSOE-Podemos-Izquierda unida ne serait pas davantage majoritaire, impliquant de rallier un ou plusieurs petits partis ou de pouvoir compter sur leur abstention. Le PSOE n’entendant pas de toute façon suivre cette politique tandis que Ciuadadanos et Podemos refusent de participer ensemble à une coalition avec lui.
La suite des évènements reste très incertaine, mais il en ressort déjà que le Partido popular de Mariano Rajoy est hors jeu, les scandales de corruption à son sujet continuant d’éclater et le rendant infréquentable. De nouvelles élections fin juin prochain, dont les sondages n’annoncent pas de grands bouleversements si elles ont lieu, ne modifieraient pas une équation qui ne parvient pas à être résolue depuis l’apparition en force de deux nouvelles formations. Elles font obstacle à la poursuite de l’alternance entre deux partis de gouvernement aux programmes proches. Quoiqu’il advienne, c’est la fin de la transition post-franquiste. La crise sociale que connait l’Espagne ne va pas nécessairement trouver sa traduction politique espérée, mais elle va laisser une marque profonde en faisant entrer le pays dans une phase d’instabilité politique destinée à durer.
Les Irlandais votent ce week-end, et le paysage politique du pays est également à la veille de profonds changements électoraux porteurs d’une forte instabilité politique. L’alternance entre les deux partis de centre droit, le Fine Gaël au pouvoir et le Fianna Fail dans l’opposition, n’est plus de circonstance. La reconduction de la coalition sortante entre le premier d’entre eux et les travaillistes est par ailleurs barrée, ces derniers annoncés comme allant s’effondrer électoralement et la récente embellie du Fine Gaël ne compensant que partiellement la chute enregistrée en 2011.
Les élections irlandaises devraient être marquées par une forte progression du Sinn Fein, le parti nationaliste de gauche dont l’IRA était l’aile militaire, qui deviendrait le premier parti d’opposition, ainsi que de petits partis opposés à l’austérité, dont les Verts, l’Alliance anti-austérité (AAA) et les Sociaux-démocrates. Le rejet du système politique traditionnel en Irlande pourrait rassembler 40% des voix. C’est un bouleversement.
Si le Fine Gaël reste malgré tout le premier parti et le premier ministre Enda Kenny toujours en piste, le vote des Irlandais devrait s’opposer massivement à l’austérité. Car le retour de la croissance, tant vanté par les autorités européennes, ne s’est pas traduit par une amélioration tangible du sort de la grande majorité des Irlandais. Les multinationales qui y développent leurs activités afin de bénéficier à la fois d’un traitement fiscal privilégié et d’un statut européen contribuent à la croissance enregistrée, mais elles renforcent les inégalités en scindant le pays en deux, selon que l’on travaille pour elles ou non. En tout état de cause, cette croissance retrouvée n’a rien à voir avec les réformes structurelles préconisée par nos édiles, résultant au contraire de la création d’emplois assortis de salaires élevés. La seule démonstration qui est faite est celle des bienfaits du moins-disant fiscal de l’Irlande en Europe !
Samedi dernier, des milliers d’irlandais manifestaient à Dublin sous la banderole « Right2Change » à l’appel de groupes anti-austérité, en faveur d’une Irlande « basée sur l’égalité, la démocratie et la justice sociale et non sur le copinage, la corruption et la cupidité ». De bons principes pour un programme européen.