Billet invité.
Déjà éprouvées, les autorités européennes peuvent-elles se payer le luxe d’ouvrir un troisième front ? N’ont-elles pas déjà fort à faire – et à maitriser – devant la perspective d’une sortie britannique possible de l’Union européenne et de l’écroulement de Schengen pour affronter de surcroit une nouvelle crise de l’euro ? Le scénario de la déconstruction de l’Europe est sur la table, faut-il encore en rajouter ?
Que ce soit en Grèce, au Portugal, en Italie et en Espagne, il se confirme que les objectifs fixés ne peuvent être atteints, sauf à relancer la crise de l’euro en l’exigeant sur le mode précédent. Mais comment s’en sortir quand il n’est pas question de remettre en cause des règles que l’on a voulu gravées dans le marbre ? Dans le cas de la Grèce, qui est amenée à supporter à son corps défendant le poids de l’accueil des réfugiés, les angles ont commencé à être arrondis. Le gouvernement à pu lancer un plan social afin de se redonner un peu d’assise et les négociations se poursuivent à propos des retraites, le FMI jouant les empêcheurs de tourner en rond en exigeant à la fois des mesures drastiques sur les pensions et une réduction de la dette grecque.
Pour le Portugal, la conformité du budget avec les objectifs fixés est pour l’instant renvoyée à mai prochain. Elle est repoussée à plus tard pour l’Espagne, dans l’attente de l’installation d’un gouvernement muni des pleins pouvoirs. En Italie les nuages s’accumulent à l’horizon des toutes prochaines années : la correction fiscale qu’implique le respect des objectifs de réduction du déficit structurel est intenable, elle serait de 24 milliards d’euros à échéance de fin 2017 dans le contexte d’affaiblissement mondial de la croissance.
Deux évènements viennent de confirmer que la pause qui s’est instaurée ne va pas pouvoir durer et que, d’une manière ou d’une autre, les autorités européennes vont devoir clarifier leurs intentions. A ce propos, le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, a tenu des propos qui demandent à être éclaircis. Remarquant qu’il rencontrait des problèmes lorsqu’il voulait expliquer les règles budgétaires, il en est venu à mettre en cause le mode de calcul actuel du « déficit structurel », le critère principal utilisé pour juger de la conformité des orientations budgétaires d’un gouvernement. Ce pourrait être une manière de soulager la pression.
Son calcul repose sur des modèles qui permettent de distinguer le déficit lié à la structure des prélèvements et des dépenses publiques du déficit conjoncturel, qui prend en compte les mesures à effet unique ainsi qu’à court et moyen terme. C’est à propos du déficit structurel qu’une passe d’arme a eu lieu avec le Portugal lors de l’examen de son budget 2016, des méthodes différentes ayant été employées par le gouvernement et la Commission. Un débat est donc ouvert par la petite porte, dont il faut attendre la suite.
Autre nouveauté intervenue, les gouvernements espagnol, français, italien et portugais seraient intervenus auprès de la Commission, selon le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung, afin qu’une composante essentielle de la nouvelle réglementation du sauvetage des banques soit revue. Il s’agit de la règle qui interdit que des fonds publics soient consacrés à sa recapitalisation tant qu’au moins 8% du passif d’une banque donnée – capital et créances – sur la banque n’ait épongé les pertes. Cette demande intervient à la suite des réactions intervenues sur le marché des obligations contingentes convertibles (les CoCos) à l’occasion de l’ébranlement de la Deutsche Bank.
Devant la perspective de devoir éponger les pertes de celle-ci, les investisseurs ont vendu en masse, faisant chuter la valeur de leurs titres et monter leur taux d’intérêt, surenchérissant d’autant le coût du renforcement des fonds propres des banques. La directive européenne de résolution des banques rencontre de sérieuses difficultés d’application, renvoyant au cas précédent : les investisseurs ne veulent pas assumer les risques qu’ils prennent et les gouvernements protègent les banques nationales détentrices d’une part plus ou moins importante de la dette publique.
Que peut-on attendre cette situation, si ce n’est une inflexion qui ne dira pas son nom et ne réglera rien ? Les autorités européennes sont prises à leur propre piège, ne pouvant ouvertement mettre en cause des principes qu’elles ont voulu intangibles, et ne le voulant d’ailleurs pas. Mais leur marge de manœuvre s’amenuisent au fur et à mesure de l’approfondissement de la crise politique et de l’absence de résultats économiques. C’est bien le moment de leur opposer une autre vision de l’Europe, qui a commencé à se discuter à Paris, à Berlin et à Madrid. À condition qu’elle ne se focalise pas sur l’euro, comme la tentation en est grande.