LA "ZONE DE SÉCURITÉ" TURQUE EN SYRIE PREND TOURNURE, par François Leclerc

Billet invité.

Angela Merkel et François Hollande ont discuté hier soir à Strasbourg de la crise des réfugiés, mais nous ne savons rien de la teneur de leurs échanges. Aujourd’hui, la chancelière se rend à Ankara pour négocier une fois de plus avec les autorités turques, mais que saurons-nous exactement de ce qu’ils se diront ? Un changement de donne est intervenu : les autorités européennes s’efforçaient d’anticiper la venue du Printemps et la relance d’un exode que l’hiver ne parvient qu’à faiblement ralentir, elles sont désormais prises de court par les conséquences du rebondissement de la guerre dans la province syrienne d’Alep, aux confins de la Turquie.

Combien de réfugiés vont-ils encore s’amasser devant la frontière avec la Turquie qu’ils ne peuvent toujours pas franchir ? Ils seraient plus de 30.000 déjà, selon le premier ministre turc Ahmet Davutoglu, dans l’attente que les rejoignent, fuyant un encerclement et une rupture des approvisionnements qui se dessine, ceux des 350.000 Syriens qui vivent encore à Alep et qui y parviendront.

Depuis vendredi dernier, les camions d’une ONG islamique turque et du Croissant rouge font des rotations en Syrie, où ils déposent des tonnes de matériel et de nourriture. Un gigantesque campement de fortune prend forme, ce qui confirme les plans du gouvernement turc qu’il veut désormais faire avaliser par les dirigeants européens. Les autorités turques profitent de cet afflux pour créer un fait accompli en bâtissant la zone d’accueil des réfugiés sur le territoire syrien qu’ils ont toujours préconisé, dans la crainte que des centaines de milliers de Syriens ne rejoignent les plus de deux millions et demi d’entre eux qui sont déjà en Turquie.

Après la Grèce, la Turquie subit les effets du refus des Européens de collectivement accueillir les réfugiés de guerre et d’accéder à leur droit à l’asile. En enjoignant pour la forme aux autorités turques d’ouvrir leurs frontières alors qu’eux les ferment, les dirigeants européens ne manquent d’ailleurs pas d’air. Le chacun pour soi continue de prévaloir, les réfugiés en faisant à chaque fois les frais.

On peut faire confiance à ces mêmes dirigeants pour demain accepter les réfugiés au compte-goutte, une fois leurs « lignes de défense » solidement établies, drapées dans leur bonne conscience pour les accueillir devant les caméras. Ce qui ne va toutefois pas jusqu’à les inciter à créer un couloir humanitaire leur évitant de traverser la mer Égée. Trente-trois d’entre eux viennent aujourd’hui de se noyer à l’occasion de deux naufrages, sans visiblement affecter leur conscience.