LES RÉFUGIES SUR LA SELLETTE, par François Leclerc

Billet invité.

A l’occasion de leur sommet de cette fin de semaine, les dirigeants européens veulent montrer qu’ils serrent les rangs et ne cafouillent plus, et pourtant ! À propos de l’épineux sujet des réfugiés, ils croient avoir trouvé la solution en mettant en avant la constitution d’un corps de gardes-frontières européen, afin de renforcer celles de Schengen. Mais l’affichage est trompeur, comme d’habitude, la politique devenue une profession de communicants.

Angela Merkel a persisté devant le Bundestag en remarquant que « se barricader au XXIe siècle n’est pas une option raisonnable », après avoir obtenu du Congrès du CDU l’adoption d’une motion ne préconisant pour l’avenir qu’une « réduction perceptible » des réfugiés. Jean-Claude Juncker a ensuite assuré les arrières et préparé le sommet en déclarant « nous autres Européens n’avons plus des frontières: nous avons une frontière et nous partageons la responsabilité de la protéger ».

Sans nul doute, les débats vont porter sur les conditions dans lesquelles l’intervention du nouveau corps de protection des frontières interviendra, ainsi que les modalités négociées d’abandon de souveraineté que cela représentera. Mais les chefs d’État et de gouvernement iront-ils jusqu’à s’interroger sur les dispositions à prendre pour fermer comme ils l’entendent la frontière maritime de la Grèce  ? Alexis Tsipras leur a déjà signifié que si cela signifiait renvoyer en mer les réfugiés arrivant dans les îles, il fallait le dire expressément !

Devant cette difficulté qu’il est préféré ignorer pour afficher la fermeté, deux autres lignes de défense sont pratiquement disponibles. La première est en place à la frontière macédonienne et, faute de mieux, filtre selon leur nationalité les réfugiés, ne laissant passer que les Afghans, les Irakiens et les Syriens. La seconde est l’objet des tractations avec le gouvernement turc et vise à fermer la frontière sur son sol, évitant un refoulement en mer inconcevable au regard des conventions internationales et de l’opinion publique, le filtrage par nationalité écornant déjà sérieusement ces accords.

Le gouvernement grec voit se réaliser ce qu’il craignait. Les réfugiés continuant d’arriver au rythme quotidien de quatre milliers malgré l’hiver, il va devoir accueillir et regrouper tous ceux qui ne seront pas autorisés à continuer leur périple, car les refouler est dans la pratique un difficile exercice semé d’embûches. Même si ceux-ci ne représentent qu’environ un dixième des arrivants, leur nombre va vite dépasser les dizaines de milliers.

Le gouvernement hollandais, qui va prendre au 1er janvier la présidence tournante de l’Union européenne, a déjà demandé à son homologue grec de disposer d’une capacité de 100.000 places pour les réceptionner. En attendant que le second projet voit le jour, ce qui n’est pas garanti, la Grèce est destinée à jouer le rôle de zone tampon afin de protéger les autres pays européens. Bien que n’ayant pas été conçu pour faire face à une telle situation, le schéma initial de Schengen sera partiellement rétabli et respecté…

Un autre dispositif est en discussion avec le gouvernement turc, à la faveur d’un mini-sommet qui est en cours. Le projet est de sélectionner des réfugiés et de les extraire des camps turcs pour en assurer le transfert à l’intérieur de Schengen, une fois les frontières maritimes fermées par le gouvernement turc et l’exode bloqué. Une deuxième condition doit être remplie : les quotas de répartition des réfugiés devront être augmentés, comme continue de le réclamer Angela Merkel. Côté Allemand, 500.000 réfugiés pourraient annuellement bénéficier de ce dispositif, les Autrichiens n’envisageant que 50.000. La discussion peut s’engager  !

On voit d’ici des familles triées sur le volet descendre de l’avion devant la caméra afin d’exonérer les gouvernements de décisions bloquant en Turquie des millions de réfugiés au prix du versement de trois milliards d’euros en deux ans, et de la réouverture pour la frime des négociations d’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Elles se sont déjà éternisées durant onze ans, puis ont été gelées ces deux dernières années.