L'INSATIABLE MOLOCH, par François Leclerc

Billet invité.

Mario Draghi est descendu du piédestal où il avait été placé pour avoir stoppé la crise obligataire en 2012, les marchés ayant vivement réagi aux dernières mesures de la BCE, après avoir espéré une injection monétaire encore plus massive. La fuite en avant s’accélère.

Dès le lendemain de sa conférence de presse, il a sans tarder corrigé le tir. Rappelant la formule selon laquelle il était « prêt à tout pour sauver l’euro » qui lui avait tant réussi, il a déclaré : « il ne saurait y avoir aucune limite à la manière dont nous sommes prêts à déployer nos instruments », puis affirmé : « il ne fait aucun doute que si nous devons intensifier l’utilisation de nos instruments pour s’assurer que nous atteindrons notre objectif de stabilité des prix, nous le ferons ».

Avec ce « recalibrage » qui vient d’être effectué, au moins 1.500 milliards d’euros devraient être progressivement injectés, mais cela ne suffit donc pas aux yeux des marchés. À quoi cela rime-t-il, quand il est déploré – s’approchant de la vérité sans l’atteindre – que le mécanisme de transmission de la politique monétaire ne fonctionne plus, et que les masses de liquidité à coût quasi nul ne descendent pas dans l’économie réelle ? D’où vient d’ailleurs ce mystère ? Est-ce ce mécanisme qui ne fonctionne plus, ou bien plutôt la politique monétaire qui tourne à vide, désormais sans prise sur l’activité économique, détournée de son objet ?

Dans ces conditions, pourquoi s’obstiner ? Pour quelle raison Mario Draghi se croit-il obligé de rassurer les marchés dans l’urgence ? Est-ce au prix de cette fuite en avant dans laquelle il est entraîné qu’il est seulement possible de stabiliser le système financier ? Qui fait la loi à ce jeu là, la banque centrale ou les investisseurs ? De quoi s’agit-il, en réalité ? De lutter contre le danger de la déflation, de favoriser la relance économique, ou bien d’alimenter un implacable Moloch ?

La déconnexion des valorisation boursières d’avec les fondamentaux, c’est-à-dire de l’économie réelle, s’accentue. Comme si la sphère financière elle-même prétendait à l’autonomie, devenue plus que jamais machine à spéculer avec le soutien des banques centrales, devenues prêteurs en premier et non plus en dernier ressort.

Jusqu’à quand la fête va-t-elle pouvoir durer ?