ÉCLAIRAGES SUR LA DETTE, par François Leclerc

Billet invité.

Comment réduire l’endettement public ? Cette lancinante question toujours pratiquement sans réponse ne va pas tarder à réapparaitre dans l’actualité à propos de la Grèce. Mais ceux qui ne veulent pas la prendre à bras le corps auront beau jeu dans ce cas de proposer de rallonger la période de grâce pour repousser à dans des dizaines d’années la constatation qu’elle n’est pas soutenable. Grosse inconnue : le FMI se laissera-t-il prendre ?

Simultanément, les dirigeants européens tentent de susciter la relance en favorisant le crédit bancaire aux entreprises, mais la recette de la croissance aux bons soins de la machine à fabriquer de la dette ne fonctionne plus comme avant. Sans autre solution, ils vont aller chercher sur les marchés le financement d’un programme d’investissement dont ils n’ont pas les moyens, c’est le plan Juncker. Selon leur vision qui proscrit la redistribution de la richesse et laisse libre cours aux inégalités de se développer, la dette publique doit maigrir et la dette privée s’engraisser.

Tout le monde ne manifeste pas le même enthousiasme à ce sujet. Quand les analystes de Royal Bank of Scotland (RBS) veulent mettre en évidence le problème de l’endettement dans toute son ampleur, ils le considèrent dans sa totalité, sans faire de distinction entre dette publique et privée. Et ils aboutissent à un montant colossal, ainsi qu’à une très forte progression de celui-ci depuis le début du siècle jusqu’à 2009. Dans le cas de l’Europe, la dette globale double de 2000 à 2009 et passe de 20.000 à 40.000 milliards de dollars. Lorsque l’institut McKinsey l’examine dans la période 2007-2014, il aboutit à la conclusion que l’endettement global mondial progresse de 57.000 milliards de dollars depuis 2007, en distinguant non plus sa région mais son origine : les États, les établissements financiers, les entreprises, les ménages.

Les faits sont là, la bulle du crédit ne cesse d’augmenter. La machine à faire du crédit a ses ratés mais elle n’est pas arrêtée, apportant sa contribution à l’accroissement de la masse des actifs financiers dont le volume est déjà démesuré par rapport à la taille de l’économie. Une fois n’est pas coutume, laissons la parole à ce sujet à Jean-Marc Vittori, le chroniqueur des Échos qui en décrit le résultat.

« Résultat ? Un monde boursouflé de dettes. Un monde où la croissance ne suffira pas à dégager l’argent pour les servir, où l’inflation est trop faible pour les effacer, où relever les taux d’intérêt revient à jouer avec une boîte d’allumettes dans une poudrière. La « décennie perdue » de l’Amérique latine dans les années 1980 l’a montré : tant que la question de la dette n’a pas de réponse, tant que les créanciers n’acceptent pas l’amère réalité en prenant leurs pertes, une vraie croissance relève de l’espoir vain. » C’est lui qui le dit.

Tôt ou tard, il faudra y venir, mais il faut aller plus loin. Il est établi que la croissance de la dette publique a largement résulté de la crise financière, mais les chiffres montrent que celle de la dette privée a commencé bien avant et qu’elle avait une autre fonction. L’exemple du miracle brésilien qui s’est terminé en témoigne parmi bien d’autres. Il a eu pour effet l’accession des classes moyennes à un niveau de consommation inédit, effet de l’amélioration de l’emploi mais aussi de la généreuse distribution de crédits à la consommation par les banques.

La détérioration de la situation économique et la récession aidant, un défaut de paiement touche désormais 40% des détenteurs de ces crédits. Le Brésil a connu une euphorie du crédit, qui est maintenant difficilement remboursé par les membres des couches moyennes brésiliennes aux plus faibles revenus (1). Le surendettement a été masqué par la généralisation du paiement en plusieurs versements étalé sur plusieurs mois, une pratique courante permettant par exemple de régler ainsi son billet d’avion. Un réseau de magasins de vente d’électro-ménager a fait fortune avec ce système, annonçant un « crédit sans intérêt » après avoir augmenté le prix de l’équipement pour intégrer celui-ci !

Une étude du FMI s’est penchée sur le sort des « prêts non performants » (NPL) en Europe, dont le volume exprimé en pourcentage du PBI a doublé de 2009 à 2014, passant de 4,5% à 9%. Premiers contributeurs à l’emploi, les petites et moyennes entreprises en sont à l’origine pour la plus grande part, plus particulièrement dans les pays du sud de l’Europe, Italie comprise.

Après d’autres, l’étude constate que les banques européennes sont loin d’avoir fait le ménage dans ce domaine, comparées à leurs consœurs américaines et japonaises, alors que leur stock de NPL est supérieur. En toute logique, et afin de clarifier la situation pour la dépasser, elle préconise de durcir la supervision des banques et de réformer les procédures de faillite des entreprises afin de les rendre plus efficaces et rapides. Elle ne s’arrête pas là et propose aussi de développer un marché des actifs dépréciés, suggérant d’enclencher le processus en créant des sociétés publiques sur le modèle de la Sareb espagnole qui a récolté les NPL des banques en détresse afin de permettre leur restructuration. Selon les auteurs, un tel geste conduirait les investisseurs privés à prendre le relais. Posée en Italie, cette épineuse question n’a cependant toujours pas trouvé sa réponse, le gouvernement italien en douterait-il ?

Si le désendettement public n’est pas le remède, le développement de la dette privée n’est pas la solution : encore un schéma de pensée qui fout le camp !

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(1) Les disparités de revenu sont telles au sein de ces couches sociales qu’il existe 5 indices des prix calculés sur 5 paniers différents adaptés à leur consommation.