Billet invité.
En donnant la coalition de droite victorieuse en voix, les sondages ne s’étaient pas trompés, mais leur interprétation a failli. L’avènement d’un gouvernement socialiste soutenu par les communistes et l’extrême-gauche n’a pas été anticipé, catastrophe pour les uns et divine surprise pour les autres, coup de tonnerre dans un ciel bleu pour tout le monde.
Après avoir longtemps mené la course en tête dans les sondages, le parti socialiste avait laissé la place à la droite, la coalition PSD/CDS déjà au pouvoir. A tort, il a alors semblé comme allant de soit qu’elle y reste. Du temps où les socialistes étaient en tête, les commentateurs annonçaient qu’ils ne disposeraient pas d’une majorité à l’Assemblée et seraient contraints de gérer un gouvernement minoritaire ainsi que de composer avec la droite. A tort une nouvelle fois, ces mêmes observateurs ne s’étaient pas interrogé sur ce qui attendait la coalition de droite lorsqu’elle a a pris la tête dans les sondages. Or elle s’est finalement trouvée dans la même situation, constituant un gouvernement minoritaire à l’Assemblée nationale destiné à chuter immédiatement.
Une erreur d’interprétation de la situation politique a enfin été commise lorsqu’il a été cru que le PS préférerait la posture de parti d’opposition négociant ses appuis à la droite à la constitution d’un gouvernement de gauche, en dépit de l’ouverture inattendue d’un PC décidé à « tout faire pour battre la droite ». La profonde crise de confiance dans les partis de gouvernement et l’ampleur du rejet de la politique d’austérité ont été sous-estimés. Ce sont eux qui ont conduit les frères ennemis de la gauche à se rapprocher, puis a conclure un accord énumérant une liste des mesures devant être prises par le gouvernement en contrepartie de leur appui.
Deux autres facteurs ont joué. Le Bloc de gauche a tiré les leçons de l’échec de la tentative de Syriza en Grèce de remettre en question frontalement le pacte budgétaire ; le PC a enregistré que le score de l’extrême gauche était pour la première fois supérieur au sien, porteur du risque de voir cet écart s’accentuer. Ni l’un ni l’autre ne pouvait porter la responsabilité devant leurs électeurs d’ignorer l’occasion qui se présentait de marquer un coup d’arrêt à la politique d’austérité, quitte à s’inscrire de facto dans le cadre du pacte budgétaire européen.
« Un mur a été abattu qui isolait un million d’électeurs » a déclaré Antonio Costa, le futur premier ministre. L’avènement d’un gouvernement socialiste soutenu par des accords avec les communistes et l’extrême-gauche rompt avec quatre décennies de farouches oppositions entre les trois composantes de la gauche, nées au cours du processus initié par le Mouvement des forces armées (MFA) en 1974 et à l’établissement d’un régime de démocratie parlementaire.
Il représente également un pari sur l’évolution de la situation en Europe, car le Portugal ne pourra pas mener seul à bien la « lecture intelligente » du pacte budgétaire défendue par Antonio Costa, qui implique son assouplissement. L’endettement du Portugal réclame par ailleurs une restructuration de la dette, mais celle-ci n’est pas dans l’air du temps. Comment s’en sortir ? Après la Grèce, le Portugal pose autrement la même question.