Billet invité.
« On va y arriver ! » est depuis quelques jours le leitmotiv d’Angela Merkel, repris par Jean-Claude Juncker, comme s’ils voulaient s’en convaincre. Mais ils n’y arrivent pas. Le sommet des 11 pays de la Route des Balkans a péniblement débouché dans la nuit de dimanche à lundi sur dix-sept modestes mesures présentées par Jean-Claude Juncker, ainsi que sur la création de « capacités d’accueil » de 100.000 personnes dans les Balkans, dont 50.000 en Grèce, puisqu’il fallait comme d’habitude annoncer des chiffres ronflants. C’est « une première étape pour une meilleure gestion des flux [des réfugiés]» a déclaré Angela Merkel, relativisant leur portée.
Le mauvais temps et la mer brutale ne font pas obstacle à la traversée entre la Turquie et la Grèce, et les tragédies se multiplient. La situation à la frontière de la Croatie et de la Slovénie a sombré dans le chaos en fin de semaine dernière, des milliers de réfugiés en familles dormant dehors dans le froid, sans eau, nourriture et soins médicaux. 11.500 réfugiés sont entrés en Croatie pour la seule journée de samedi, la Slovénie en a annoncé 15.000 dimanche. Cela ne laissait que deux options: les laisser passer tout au long de la route, en les prenant en charge dans chaque pays, ou fermer les frontières. La première aboutit à grossir sans fin le flot de ceux qui parviennent en Allemagne, la seconde aurait comme conséquence de les bloquer au départ, en Grèce, et a été évitée. Sous la pression de son propre parti, la chancelière va difficilement pouvoir écarter, en fait d’accueil des réfugiés, de créer des zones de transit aux frontières allemandes, où ils attendront de connaître un meilleur sort.
Le gouvernement grec ne prévoyait de créer qu’un centre d’une capacité de 30.000 places pour les réfugiés, au cas où ils se trouveraient bloqués, leur « relocalisation » dans des pays d’accueil démarrant très lentement avec des objectifs insuffisants. Les 50.000 places obtenues par Bruxelles ne représenteront qu’une semaine d’arrivées des réfugiés et ne sont qu’un pis-aller, permettant d’empêcher la formation de bouchons si la coordination transfrontalière fonctionne bien. Pour la suite effective des évènements, on s’en tiendra aux faits.
Le schéma officiel de hot spots en Grèce et en Italie permettant de refouler les indésirables et de répartir entre les pays européens les demandeurs d’asile consacrés ne tient toujours pas la route, car il suppose qu’ils trouvent un pays d’accueil ensuite, or les offres ne sont faites qu’au compte-goutte. « On ne peut pas résoudre le problème des réfugiés dans son ensemble, on a aussi besoin de la Turquie. Il faut mieux répartir le fardeau entre la Turquie et l’Europe », a déclaré Angela Merkel qui, avec les dirigeants européens, dépend désormais du bon vouloir du président turc Recep Tayyip Erdoğan. Entre-temps, des faits accomplis sont créés, et c’est destiné à durer.
De toutes les incuries dont les autorités européennes ont jusqu’à maintenant fait la démonstration, celle qui se déroule sous nos yeux n’a pas d’équivalent et n’a pas fini de faire ses dégâts. Angela Merkel et Jean-Claude Juncker sont laissés seuls en première ligne par leurs homologues prudemment en retrait. En Allemagne, l’opposition à la chancelière monte dans son propre parti et l’on voit se préciser la candidature de Wolfgang Schäuble à sa succession. Les deux crises s’y rejoignent.