LES BANQUES, LE RETOUR, par François Leclerc

Billet invité.

Après avoir longtemps courbé le dos et mené des batailles défensives dans le but de limiter la portée de la régulation, les banquiers européens voient leur moment arriver : les régulateurs ne sont plus à l’offensive, leur tour est enfin venu.

Le FMI a beau s’alarmer de la constitution depuis 2009 d’un paquet de mille milliards de dollars de créances douteuses dans leurs bilans, héritage selon ses termes de la crise financière et de la récession qui a suivi, les banquiers européens ont d’autres soucis à faire valoir. Frédéric Oudéa, président de la Fédération bancaire européenne, lance son propre cri alarme : « Il faut que la Commission européenne se préoccupe de la compétitivité du secteur bancaire au niveau mondial ». Quand il n’est pas demandé de laisser les banques en paix afin qu’elles fassent leur travail de soutien de l’économie, il est question de leur permettre de tenir leur rang face à leurs concurrentes américaines.

Que s’agit-il cette fois-ci de contrer ? le projet pourtant bien timoré de séparation des activités bancaires, adopté par la Commission et en discussion au Parlement européen. Il nous vaut de la part de Frédéric Oudéa une ode à la gloire de la banque universelle qui en est l’exact opposé. Commentant sa rencontre avec le nouveau commissaire aux services financiers Jonathan Hill, il rapporte que « nous avons voulu répéter pourquoi une séparation ne nous permettrait pas de rester compétitifs », à total contre-courant des intentions plus ou moins effectives des régulateurs. Selon lui, la banque d’affaire et de dépôt doivent coexister dans une même entité, pour le plus grand bien de la première, et au plus grand risque de la seconde. Reconnaissons-le, la banque universelle a non seulement comme avantage de donner une assise financière plus large aux opérations spéculatives des banques, mais également d’être à la base de l’aléa moral dont elles jouissent, qui se traduit par l’obligation faite aux Etats de les soutenir en cas de défaillance.

Le mauvais exemple a été donné par la City et la Banque d’Angleterre. Revenant sur les intentions de départ du gouvernement britannique, cette dernière vient de considérablement réduire la portée de la mesure voulant que des établissements distincts pourvus de réserves et de conseils d’administration séparés soient mis en place. Les fonds propres pourront dorénavant être déplacés d’un établissement à un autre, et la banque de détail pourra verser des dividendes à sa consoeur. Ces ouvertures mettent en cause l’étanchéité initiale du dispositif.

Ancien membre du directoire de la BCE devenu président de la Société Générale, Lorenzo Bini Smaghi s’élève avec véhémence contre le projet de taxe sur les transactions financières (TTF), que la Commission voudrait faire adopter dans le cadre d’une coopération renforcée de 11 pays européens. Ce projet est « tout simplement un suicide pour le marché financier européen, puisque tous les grands centres financiers de la planète en sont exclus » s’exclame-t-il. Crime suprême, « cette taxe repose sur des fondements idéologiques »… Puis vient le coup de grâce : « elle va pénaliser les clients finaux » assène-t-il, considérant acquis que les banques vont en répercuter le coût au détriment des acteurs économiques – et non pas l’absorber – en exerçant le chantage classique.

Dès fois, cependant, le vent tourne, mais ce n’est pas pour longtemps. Ainsi, les députés français ont, contre l’avis du ministre Michel Sapin, élargi à partir de la fin 2016 l’assiette de la taxe française déjà en vigueur. Les opérations dites intraday (initiées et dénouées au cours de la même journée) qui en étaient exclues sont désormais intégrées. Cette disposition vise particulièrement le trading robotisé dont le poids dans les transactions boursières ne cesse de croître. A la recherche d’arguments contre la TTF, Lorenzo Bini Smaghi y fait d’ailleurs référence en déplorant la diminution de 40% « du rôle de la Bourse » en Italie, évitant de préciser qu’il s’agit du volume des transactions et du résultat de la chute des transactions du trading à haute fréquence. Taxées, leur faible rentabilité est encore réduite. Peut-on soupçonner le ministre français, qui proposait d’attendre que la réglementation européenne taxe les intradays, d’avoir nourri l’espoir secret que cela n’allait pas être le cas ?

Un autre dossier mérite d’être suivi avec attention, celui du super ratio des TLAC – Total Loss Absorbing Capacity – qui vise à éviter tout renflouement sur fonds publics des 30 banques internationales considérées systémiques par le Conseil de stabilité financière (FSB). Devant entrer progressivement en vigueur en 2019, ce ratio est une application du mécanisme du bail-in d’auto-renflouement des banques.

Dans le but de le déterminer, toute une machinerie complexe a été élaborée pour tenir compte des structures de capital et de bilan différentes des banques, ainsi que de leurs structures de groupe. Entre 16 et 20% des actifs pondérés par le risque devront être couverts par un matelas de fonds propres et de dettes pouvant être dépréciés ou convertis en capital en cas de résolution, la liste de ces actifs étant comme toujours un enjeu.

Que penser des TLAC ? En premier lieu, l’utilisation d’un ratio calculé en fonction du montant des actifs non pondérés ayant été exclu en raison de son coût estimé trop élevé par les banques, leur calcul repose sur une estimation du risque des actifs, toujours aussi sujette à caution. Cela relativise singulièrement leur portée effective : le calcul du risque est le talon d’Achille de la régulation financière. En second, en cas de problème et en application de cette nouvelle disposition, les fonds publics protégés, les fonds de pension et les assureurs – investisseurs traditionnels dans la dette des banques – seraient les grandes victimes du renflouement d’une banque systémique. Dévaloriser ces titres, comme le fait à juste titre remarquer le cabinet d’audit et d’expertise comptable Mazars, « équivaudrait à financer le redressement d’une banque par la réduction des retraites, une perspective politiquement complexe à gérer. »