LE REJET N’ASSOIT PAS UNE POLITIQUE, par François Leclerc

Billet invité.

Paradoxe, le parti socialiste portugais sort défait des élections et sur le papier en position d’arbitre de la situation. Courtisé par le premier ministre de droite sortant, qui lui offre de négocier « les accords indispensables à la mise en œuvre de réformes importantes », il lui est également proposé par le Bloc de gauche de discuter d’une « solution de gouvernement », à condition d’abandonner trois points de son programme : les coupes dans les retraites, les réductions de charges sociales et les mesures facilitant les licenciements.

Avec le Bloc de gauche, le PS dispose en effet du même nombre de députés que la coalition de droite, et pourrait tout aussi bien prétendre former un gouvernement. Ce serait alors à l’Assemblée de la République de trancher, et les communistes deviendraient les arbitres ! La Constitution prévoit en effet que le président de la République doit « tenir compte du résultat des élections » pour confier la tâche de former un gouvernement au leader de son choix, ce qui laisse place à interprétation…

Les résultats officiels n’étant connus que le 14 octobre prochain, la formation du gouvernement illustre dès à présent les ambiguïtés de la situation. Bien qu’il soit des plus vraisemblable que le PS adopte comme position – plus confortable, en accord avec sa vision politique comme avec la nature de son parti d’élus – de négocier son abstention lors des votes décisifs proposés par la coalition de droite au pouvoir. Mais le Bloc de gauche, mordant, ne va pas lui faciliter la tâche.

Les électeurs portugais ont envoyé un double message qui n’est pas sans rappeler celui des Grecs de janvier dernier : ils ne veulent pas d’aventure et de sortie de l’euro, mais rejettent ceux qui sont à l’initiative de l’austérité. Si le phénomène Syriza ne s’est pas reproduit, les partis de gouvernement portugais ont comme les grecs été désavoués, un phénomène qui ne va pas manquer de s’exprimer également en Espagne. Cette désaffection touche particulièrement les partis socialistes qui ne jouent plus leur rôle traditionnel, faute de marge de manœuvre. En Espagne, Podemos et Cuidadanos jouent de surcroit les troubles-fêtes et vont compliquer la formation d’un gouvernement. Partout, l’équation se complexifie, l’alternance qui à la fois régulait le jeu et le bloquait est en panne.

Depuis Bruxelles, Pierre Moscovici s’inquiète d’un dérapage du gouvernement espagnol qui a levé le pied des mesures d’austérité afin de gagner du terrain électoral; il réagit en invitant les autorités espagnoles à réviser leur projet de budget, mais « après l’entrée en fonction du nouveau gouvernement », c’est à dire une fois les élections passées ! Le cap de celles-ci et des accommodements passés, que pourra-t-il donc survenir si les résultats économiques se tassent ? Ni le chômage, ni l’endettement ne sont choses réglées, et les résultats économiques sont modestes et fragiles, quand ils sont au rendez-vous. Vite, ce ne sont pas seulement les pays de l’Europe du sud qui verraient réapparaître la nécessité de nouvelles coupes budgétaires destinées à préserver les capacités de désendettement, mais également l’Autriche, la France et l’Italie.

Lorsqu’elle intervient, la sanction des urnes se traduit par le rejet et non pas par l’adhésion. Cela n’assoit pas une politique.