Quel va être le prix à payer au président turc Recep Tayyip Erdogan pour qu’il contrôle le flux des réfugiés sur le chemin de l’asile dans l’Union européenne ? Tout en entamant des conversations à ce sujet à Bruxelles, celui-ci ne fait pas preuve d’une impatience excessive afin de faire monter les enchères : il sait ses interlocuteurs demandeurs et pressés par le temps, voulant faire une première annonce lors du prochain sommet européen des 15 et 16 octobre.
Avant de se mettre d’accord sur un montant, il faudrait s’entendre sur les mesures qui répondraient aux attentes des autorités européennes. Le gouvernement turc préconise pour l’instant la création d’une « zone de sécurité » dans le nord de la Syrie, aux confins de sa frontière avec la Turquie : trois « villes » de 100.000 habitants seraient construites par les Turcs et financées par l’Union européenne. Mais les représentants de cette dernière ne sont pas chauds pour cette solution, tout en ne pouvant refuser d’en discuter.
Ils souhaitent que l’intégration des réfugiés soit privilégiée, car ils savent que les camps déjà surpeuplés de Jordanie et du Liban enregistrent de nombreux départs en raison des conditions d’existence pitoyables qui y règnent, et que le temps accélérera le mouvement. Pour qu’une telle intégration soit possible, les réfugiés devraient bénéficier d’un permis de travail en Turquie, au lieu d’être obligés pour y survivre d’accepter de misérables rémunérations en raison de leur statut « d’invités ». Le droit d’asile peut difficilement se concrétiser par l’obtention d’une place dans une baraque d’un camp de réfugiés soumis aux rigueurs climatiques et encerclés de barbelés, et dont il faut obtenir une autorisation pour sortir.
En contrepartie, les autorités européennes s’attendent à devoir mettre la pédale douce à propos du respect des droits de l’homme, à fermer les yeux sur la reprise de la guerre contre les Kurdes, et à repousser la publication d’un rapport négatif sur la demande d’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Question mesures, parce qu’il va falloir quand même en trouver, des négociations pourront être ouvertes afin de dispenser de visa les Turcs désirant se rendre en Europe, une fois aplanie la question chypriote.
Le président turc a d’autres objectifs, dont trouver une majorité pour son parti, l’AKP, lors des prochaines élections de début novembre, ainsi que de minorer le HDP, le Parti démocratique des peuples à qui il a été collé l’étiquette de « Syriza turc ». L’ambiance s’alourdit en Turquie en raison des manifestations anti-kurdes organisées par le régime et des exactions contre les journalistes, faisant suite à tant d’autres épisodes arbitraires ainsi qu’à la poursuite de l’« islamisation rampante » du pays de Mustafa Kemal Atatürk.
Comment faire du chef d’État mégalomaniaque et ne reculant devant rien un personnage fréquentable, à qui il est demandé d’accueillir les demandeurs d’asile à la place d’une Europe qui s’en révèle incapable ? Le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung a dévoilé un plan d’action, qui n’a pas été confirmé, qui reposerait sur l’accroissement des patrouilles maritimes grecques et turques coordonnées par Frontex, l’agence européenne des frontières, et la construction en Turquie de six nouveaux camps destinés à héberger deux millions de réfugiés. Enfin, l’Union européenne accueillerait 500.000 réfugiés qui n’auraient pas à traverser la mer Égée.