BANQUES : LE MÉNAGE N’EST TOUJOURS PAS FAIT ! par François Leclerc

Billet invité.

Une nouvelle une enquête est ouverte par les autorités suisses à propos de manipulations des cours de l’or et de l’argent par sept grandes banques internationales – toujours les mêmes – mais cela passe largement inaperçu : la routine faisant son œuvre, ces fraudes et manipulations de marché sont devenues banales à force de se répéter et n’accèdent plus aux grands titres de l’actualité.

Si les amendes continuent de pleuvoir, tout est instruit comme s’il s’agissait d’une succession de dérapages individuels à mettre au compte de traders indélicats, et non d’une pratique collective couverte par les hiérarchies bancaires. De la même manière qu’un grand constructeur automobile mondial s’est arrogé le droit de s’affranchir des normes de pollution en le masquant, le système bancaire s’est permis de manipuler à son avantage – et au détriment de ses clients – les principaux cours et taux qui régissent l’activité financière. Le rapprochement s’impose.

L’opacité continue de régner dans les bilans bancaires, il est d’expérience difficile d’en douter. On en sait déjà assez, cependant, pour comprendre que le ver est toujours dans le fruit. Selon la BCE, le montant des créances douteuses dans les bilans des banques de la zone euro atteignait 879 milliards d’euros en novembre 2014, le double de ce qui avait été enregistré en 2009. D’après l’institut, les banques des pays de l’Europe de sud sont les plus touchées, les établissements italiens à eux seuls détenant 330 milliards d’euros de prêts non performants. Or, le gouvernement italien esquive la création d’une bad bank qui pourrait les recueillir, car il ne pourrait éviter de se trouver à terme en charge du financement de ses pertes.

En Espagne, la bad bank a bien été créée sous le nom de Sareb, ce qui a permis de retarder le moment où le trait de l’addition devra être tiré, la restructuration du système bancaire ne permettant pas de continuer à planquer les actifs douteux comme en Italie. Mais un autre problème est apparu à propos des Deferred Tax Assets (DTA), cet instrument comptable qui permet d’anticiper des détaxations futures, lorsque le temps des bénéfices sera hypothétiquement revenu. Pour l’instant, les DTA ont encore a accès au saint du saint des fonds propres des banques, qu’ils consolident à leur manière : le core tier one.

La Commission européenne s’est inquiétée de l’utilisation très répandue des DTA, des subventions déguisées en puissance qui avantageraient les banques utilisant ce mécanisme comptable. Elle l’a relevé non seulement en Espagne, mais aussi en Italie, en Grèce et au Portugal, précisément les pays où les montants de créances douteuses sont les plus élevés. Le gouvernement espagnol croit depuis avoir trouvé une parade en faisant payer un intérêt pour certains de ces DTA, comme s’il s’agissait d’un prêt et non d’une subvention. La Commission pourra s’en satisfaire, mais l’autorité européenne de supervision (le Single supervisory mechanism, SSM) qui a les DTA dans le collimateur ne le sera pas nécessairement, ayant comme objectif la solidité des bilans bancaires.

L’utilisation des DTA permet dans l’immédiat de pallier l’insuffisance de fonds propres des banques au regard du montant des créances douteuses inscrites à leur bilan. L’enjeu est donc de taille. Comparées aux banques américaines, les européennes ne se sont en effet pas résolues à passer aux profits et pertes leurs créances douteuses à la même échelle, car cela leur impose une coûteuse recapitalisation. C’est ce qu’a constaté le FMI, qui en rejette la responsabilité sur une « supervision insuffisamment poussée » et jette ainsi une pierre dans le jardin de la BCE, d’où la réaction du SSM qui travaille sous son autorité.

Selon une étude de l’Institut Bruegel, la sous-capitalisation des banques sous contrôle de la BCE pourrait être fortement sous-estimée par celle-ci, si l’on prend en considération l’effet de levier brut, avant pondération sujette à caution de la valeur des actifs en fonction de leur risque. L’absence de tout risque pour les titres de la dette souveraine est également relevé. L’étude met l’accent sur les banques de petite et moyenne taille, hors du périmètre de surveillance de la BCE qui se concentre sur celles qu’il estime systémiques en raison de leur taille.

Ce tissu bancaire alimentant le crédit des PME européennes, l’étude y voit l’une des raisons à la faiblesse persistante du crédit, qui contribue à celle de l’économie, au côté d’autres facteurs comme la stagnation des salaires et le maintien d’un haut niveau de chômage. Le prochaine épisode va être celui des banques grecques, qui vont être recapitalisées grâce aux fonds du 3ème plan de sauvetage, mais le niveau qui sera décidé importera pour la suite des événements dans le pays.